La santé ne fait pas exception, elle est dans le sillage du numérique et donne corps à la E-santé qui apparaît depuis plusieurs années comme une transformation inévitable du système de santé. Elle se définit par « la capacité à partager et échanger des données entre différents systèmes, permet l’accès à tous, professionnels et patients, aux mêmes informations, en dépassant les cloisonnements historiques et modes de prise en charge ». Ses objectifs sont multiples: « développer la médecine connectée, encourager la co-innovation entre professionnels de santé, simplifier les démarches administratives des patients et outiller une démocratie sanitaire à l’aide d’une plateforme numérique facilitant la consultation et la participation des usagers ». Dans cette perspective, le ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine, a en mai dernier annoncé « un plan d’investissement de 2 milliards d’euros, dont l’un des volets porte sur le numérique et les systèmes d’information dans les territoires ».

Alors que certains se réjouissent qu’« aujourd’hui, la révolution digitale réinvente le temps, l’espace, le pouvoir, l’individu », cette dynamique ne manque pas d’inquiéter. Les médecins ne sont plus vus comme des savants que l’on écoute mais comme les conseillers de patients qui s’auto-diagnostiquent. «Désormais, avant de consulter un généraliste, on peut se renseigner en ligne, échanger avec des communautés de patients, faire un pré diagnostic. Derrière ces nouveaux usages, c’est un nouveau rapport au savoir médicale qui émerge et reconfigure la relation privilégiée du patient avec son médecin. » Obsédé par l’égalitarisme en tout point, le patient et le médecin ont selon le rapport, une relation dissymétrique qu’il conviendrait de corriger. « De plus en plus, les patients se poseront des questions pour interpréter les données qui auront été collectées par leur bracelet connecté. Ils auront besoin d’être guidés, orientés, conseillers : or qui de mieux que le professionnel de santé peut jouer ce rôle de référent de confiance ». Dès lors, le rôle du médecin est dénaturé, cantonné à faire la synthèse des données trouvées par les patients. Le danger est immense de faire croire aux patients qu’ils peuvent presque remplacer les spécialistes de la santé.

L’innovation et le progrès médical sont bénéfiques lorsqu’ils sont réalisés pour le bien-être des patients. Le rythme des innovations numériques s’accélère et tente de se mettre au service de la médecine. « La part des établissements de santé utilisant un dossier patient informatisé est passée de 75 à 95% en trois ans grâce au programme Hôpital Numérique. » Pour accompagner cette dynamique, Marisol Touraine avait annoncé en 2016, que 750 millions d’euros seraient alloués pour alimenter le plan d’investissement dédié au programme Hôpital Numérique. « J’ai lancé des expérimentations de télémédecine dans neuf territoires : 2,5 millions de patients peuvent dès à présent consulter à distance un médecin ». La ministre de la Santé se réjouit, en oubliant que la priorité n’est pas de développer « le tout numérique » pour pallier de façon pérenne aux déserts médicaux. La E-santé n’est qu’un voile déposé sur un problème de fond pour mieux retarder l’apport de solutions efficaces. Car, n’en déplaise à Marisol Touraine, ausculter un patient ne peut se faire sérieusement à distance. La seule véritable solution est de former des médecins de campagne capables de soigner directement les patients. Le défi reste donc de rendre les zones rurales attractives pour favoriser l’implantation des médecins. Pour l’heure, rien n’a été fait.

L’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP Santé) envisage quant à elle « la santé [comme] le bien commun de la société numérique ». Que cela signifie-t-il? Le président de l’Agence, Patrice Legrand, poursuit en ces termes : « l’arrivée du numérique en santé, entendue comme un bien commun, appelle de nouvelles formes de gouvernance ». Avec le numérique, la société se transforme. L’écueil est d’assister à cette métamorphose, en ne la pensant qu’à l’aune d’un progrès qu’on tient pour seule finalité. Sous couvert d’évolution, la santé est envisagée comme « un bien » que l’on possède au risque d’oublier que la maladie frappe tout individu sans souci d’égalité. Les gouvernements successifs ne doivent pas duper les patients. La santé en tant que telle n’est ni un bien ni un droit, seul les soins et leur accès peuvent en constituer un. Or le rapport tend à induire cette erreur au même titre qu’il emploie l’expression « société numérique », qui en elle-même est une ineptie. La seule société qui existe est celle constituée de personnes. Le numérique n’est pas une société mais un outil au service de cette dernière, qui selon l’utilisation, peut être un danger pour la santé et la sécurité même des patients. En effet, le numérique porte en lui un risque réel de déshumanisation du lien patient-médecin et plus encore d’affubler les patients « de différents objets connectés ou en lui demandant d’avoir des tas d’applications comme si la mesure permanente de soi allait aboutir à une sécurité absolue… Car on aura transformé ainsi un patient ayant une maladie organique en un cybercondriaque ».

La stratégie nationale tend actuellement à une véritable « révolution numérique et [de] santé » ou plus précisément à une « refondation d’un système ». La volonté actuelle est de faire du « patient du XXIème siècle est un patient connecté, un e-patient, qui communique et s’informe, réduisant l’asymétrie d’informations avec son médecin ». L’ASIP Santé a pour mission de supporter cette impulsion « tout en préparant les services de deuxième génération qui verront le développement rapide des services aux patients, de l’aide à la décision médicale et de la santé connectée ». Dans cette perspective, l’ASIP Santé doit coopérer étroitement avec les acteurs industriels, les professionnels de santé et les patients et soutenir activement l’innovation. Or, il apparaît que les dispositifs manquent pour accompagner les entreprises en phase avancée d’innovation. La commande publique est insuffisante alors qu’elle pourrait être un support réel pour ces dernières. Soutenir l’innovation technologique a en outre un intérêt économique, selon Anne-Marie Armanteras de Saxce, directrice générale de la Direction générale de l’offre de soin (DGOS), celui « de savoir si le digital sera un levier d’efficience ou une dépense nouvelle ». Alain Milon, sénateur de Vaucluse, rapporteur du projet de loi de modernisation de la santé, tempère quant à lui l’intervention abusive de l’Etat : « le système de soins n’a de cesse de se moderniser. Il le fait tout seul et n’a, à mon avis pas besoin de loi pour cela, au contraire ».

Malgré tout, « la transition numérique de la société française est engagée et tous les secteurs d’activité sont concernés. Or, partout où il y a du numérique, il y a potentiellement des menaces. La santé présente une sensibilité particulière à triple titre. C’est un secteur où le numérique est d’ores et déjà très présent, ce qui a pour conséquence d’offrir une surface d’attaque importante. C’est également un secteur où la compétition internationale est forte et les enjeux financiers considérables, ce qui favorise des pratiques déloyales ou délictuelles. C’est enfin un secteur où les conséquences d’une attaque peuvent être dramatiques pour les personnes, ce qui exige un haut niveau de sécurité et de sûreté ». Pierre Ricordeau, secrétaire général des ministères chargés des Affaires sociales, appel pour sa part, à « une utilisation quotidienne et à grande échelle des outils numériques ». Malgré l’enthousiasme que peut susciter le numérique dès lors qu’il est utilisé, de surcroît à grande échelle, « il y a potentiellement des menaces » ainsi que le souligne, Guillaume Poupard, directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Ces menaces ne sont pas seulement liées à la santé même des patients mais également à l’immixtion dans la vie privée des personnes puisque « des chercheurs s’intéressent même au suivi épidémiologie des infections sexuellement transmissibles à travers des logiciels de rencontre tels que Tinder ».

Ainsi se pose la question de la garantie faite à l’usager ou au patient que ses données personnelles de santé peuvent être effectivement protégées. Cette problématique ne peut être éludée d’un revers de main car « la santé présente une sensibilité particulière à triple titre. C’est un secteur où le numérique est d’ores et déjà très présent, ce qui a pour conséquence d’offrir une surface d’attaque importante. C’est également un secteur où la compétition internationale est forte et les enjeux financiers considérables, ce qui favorise des pratiques déloyales ou délictuelles. C’est enfin un secteur où les conséquences d’une attaque peuvent être dramatiques pour les personnes, ce qui exige un haut niveau de sécurité et de sûreté ». La garantie absolue que les données du patient ne puissent jamais se retourner contre lui est impossible à assurer. Ainsi, les patients doivent être conscients que les données qui seront collectées seront susceptibles d’être piratées car elles peuvent intéresser des organisations, des groupes d’assurances « pour fixer un risque probabiliste ».

A côté des nécessaires protections numériques des données, l’arsenal législatif doit également être protecteur de celles-ci. Ainsi que le rappelle le bureau Francis Lefebvre : « lorsque le traitement concerne des données relatives à un individu identifié ou identifiable directement ou indirectement, une première problématique juridique se pose : le droit des données personnelles a vocation à s’appliquer. Cela implique notamment une information des utilisateurs, voire leur consentement écrit dans certaines circonstances, des solutions de sécurité avancées et des paramètres techniques permettant d’assurer le respect de la législation par défaut, et ce, dès la conception de l’objet ».

« Le problème de la sécurité et de la confidentialité des données est donc éminemment politique et va bien au-delà du secret médical. »Le Docteur Jacques Lucas, Vice-président du Conseil national de l’Ordre des Médecins, chargé des Systèmes d’information en santé n’hésite pas quant à lui à mettre en garde contre l’évolution de l’E-santé : « il ne faut pas être non plus béat devant toutes innovations sans en avoir analysé le degré de sécurité, la qualité et la protection des données ». Ainsi le recours au numérique à l’hôpital, par exemple, est un véritable enjeu de sécurité publique qu’il ne faut pas minimiser.

 

NB : cette note est faite à partir d’éléments objectifs recueillis dans le Journal du Parlement du mois d’avril 2017 dont le dossier Etude et perspective a été consacré à la E-santé et à partir de l’article publié par le Bureau Francis Lefebvre  « Objectifs connectés en santé : un environnement juridique mouvant »

 

aloysia biessy