Le rétablissement du contrôle aux frontières de certains pays de l’espace Schengen (Autriche, automne 2015 ; Allemagne, septembre 2015 ; France, novembre 2015 ; Suède et Danemark, début 2016) est due aux importants déplacements de population engendrés par les guerres au Proche-Orient. Le 26 janvier 2016, la Commission Européenne a accepté de prolonger ce rétablissement du contrôle.

Dans sa lettre n°39 (février 2016), Les conséquences économiques d’un abandon des accords Schengen, France Stratégie revient sur les conséquences économiques qu’engendrerait le rétablissement des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen. Reflux du tourisme, décélération des flux de transport de marchandises : l’impact économique d’une telle restauration ne constitue pas, selon Vincent Aussilloux et Boris le Hir, une mesure souhaitable.

La France serait une importante victime de ce rétablissement, quel que soit l’intensité (modérée ou accrue) de la reprise des contrôles. En se basant sur les leviers de la fréquentation touristique, l’impact sur les travailleurs frontaliers, le transport des marchandises, la note stipule que l’impact économique immédiat du rétablissement aux frontières engendrerait un coût de deux milliards d’euros. A plus long terme, la généralisation du contrôle pourrait faire diminuer les échanges entre pays de la zone, réduisant de 10 à 20 % le taux d’exercice commercial. Le laboratoire supposerait également une perte d’un demi-point de PIB pour la France (10 milliards d’euros). Pour les seuls pays de l’espace Schengen, un impact de 0,8 point sur le PIB (soit plus de 100 milliards d’euros), serait à prévoir.

 

I. Des conséquences économiques à court terme

A court terme, le rétablissement des contrôles aux frontières sur le tourisme, sur la durée des transports frontaliers et sur les flux de marchandises auraient des conséquences économiques importantes.

  1. Impact sur le tourisme

Avec 83 millions de touristes séjournant au moins une nuit chaque année en France, la dépense de consommation de visiteurs étrangers contribue à près de 2.4 % du PIB français.

En cas de remise en cause du visa de circulation Schengen (qui permet aux visiteurs de pays tiers de parcourir plusieurs pays de l’espace librement), le flux touristique se verrait diminué. En effet, dans ce cadre, plusieurs demandes de visas devraient être opérées pour se déplacer ; sachant que ce type de demande dissuade 21% de touristes de l’espace Schengen[1], un ralentissement de ce flux serait à prévoir. Ainsi, en cas de rétablissement réduit du contrôle des frontières, le flux touristique connaîtrait une baisse nette de 5% pour les « excursionnistes[2] » (0 nuit en France), à hauteur de 2,5% pour les touristes dont la durée de séjour ne dépasse pas 2 nuits. En termes financiers, la perte s’élèverait à hauteur de 500 millions d’euros par an.

Au contraire, assouplir cette politique de visa permettrait une progression de 5 à 25 % de l’afflux de touristes, et un gain de plusieurs dizaines de milliards d’euros. En cas de rétablissement accru du contrôle des frontières, la baisse des arrivées, due aux files d’attente dissuasives aux frontières, est supposée à hauteur de 10 % (pour les excursionnistes), de 5% pour les touristes dont la durée de séjour ne dépasse pas deux nuits. Soit une perte économique s’élevant à près d’un milliard un an.

             2.Impact sur la hausse des temps de transport pour les frontaliers

En cas de rétablissement réduit du contrôle aux frontières, l’augmentation du temps de passage[3] pour les travailleurs frontaliers s’élèverait à 10 minutes (20 minutes en cas de rétablissement accru), engendrant un surcoût social de 1,7 € par passage. Soit, sur un total de 350 000 travailleurs frontaliers, à estimer que ceux-ci travaillent 217 jours par an et effectuent deux passages par jour, un coût socioéconomique de 250 millions d’euros (rétablissement modéré) lié à cette augmentation du temps de travail. En cas de rétablissement accru, une perte de 500 millions d’euros serait à prévoir. A plus large échelle, la perte de temps de travail correspondant à une valeur de 70 euros par mois : avec une baisse du nombre de travailleurs de 5000 de travailleurs frontaliers en cas rétablissement modéré, 150 millions d’euros constituerait la perte à prévoir – sans tenir compte de l’accroissement du chômage. En cas de rétablissement accru, on compterait 10 000 travailleurs frontaliers en moins, une perte de 300 millions d’euros.

3. Impact sur le flux des marchandises

France Stratégie pointe l’augmentation du temps de passage en cas de rétablissement des contrôles, notamment du fait de l’examen des clandestins éventuels pouvant être présents à bord des camions des transporteurs. Avec trente minutes supplémentaires en cas de rétablissement modéré des contrôles, une heure en cas de rétablissement accru, la réduction du temps de travail engendré par ces opérations d’examen pourrait avoir un impact sur les flux de commerce et subsidiairement, de la croissance et de l’emploi[4]. Pour un même volume à l’import et à l’export, soit 22 millions de tonnes transportés dans les deux sens par 3 millions de camions, le temps additionnel d’une demi-heure induirait un surcoût de 6 millions d’euros (en termes de volume de marchandises), de 56 millions en termes de transporteur. Soit 62 millions d’euros par an à l’import en cas de rétablissement modéré des contrôles aux frontières, 124 millions en cas de rétablissement accru.

 

   II. Des conséquences économiques à moyen long terme

  1. Impact sur le commerce extérieur

Selon France Stratégie, l’augmentation des mouvements humains internationaux aurait des effets positifs sur le commerce international : appliquant la préférence nationale sur les produits issus de leur pays d’origine, les « immigrants » auraient en effet un regard judicieux en termes de choix de biens spécifiques[5]. Leur connaissance des productions à bas coût dans les pays étrangers et leur liaison à un réseau réduisant les risques liés aux exportations et importations constitueraient également une justification légitime de la continuation des accords relatifs aux frontières de l’espace Schengen. En outre, deux pays appartenant au même espace Schengen aborderaient un taux de commerce annuel louable – supérieur de 10 à 15 % ; les « frictions » entre deux acteurs de l’espace Schengen seraient modérées par leur appartenance à cette même zone.

S’appuyant sur différentes études empiriques, France Stratégie souligne que le rétablissement des contrôles intérieurs au sein de l’espace Schengen serait inique : en imaginant un scénario dans lequel une taxe de 3% serait appliquée au commerce (biens et services) entre partenaires de l’espace Schengen, le surcoût serait inévitable. Suivant ces référentiels, en 2025, la France connaîtrait une baisse de ses exportations – de 11.4% pour les partenaires de l’espace Schengen, 10.8% pour les non membres. Quant à ses importations, la chute serait tout aussi significative : de 11.4 % vis-à-vis de ses partenaires de Schengen, elles chuteraient de 13.7 % pour les pays non membres. Dans cette même hypothèse, en 2025, la France connaîtrait une diminution de 0.5% de son PIB – soit 13 milliards d’euros ; cette situation coûterait à l’ensemble de la zone Schengen 0.8 point de son PIB, soit 100 milliards d’euros.

2. Les conséquences sur les investissements étrangers : un « projet européen en danger »

La baisse des flux migratoires engendrée par une ré-instauration accrue des contrôles des frontières aurait également des effets sur les flux financiers. Des études montrent effectivement une élasticité de 12 à 18% entre les prêts bancaires internationaux et les migrations. En revanche, il s’avère plus difficile de quantifier les conséquences exactes de cette donnée sur le PIB.

Quant aux conséquences supposées de la baisse des flux migratoires sur le projet européen, France Stratégie suppose qu’elles seront nombreuses ; l’institut se révèle cependant incapable d’en évaluer l’impact concret.

Conclusion

N’évaluant la ré-instauration du contrôle des frontières à l’intérieur de l’espace Schengen qu’à l’aune de ses conséquences à l’échelle économique, le rapport de Vincent Aussilloux et Boris le Hir propose une perspective unilatérale négligeable. Déplorant les impacts de cette mesure sur les transactions commerciales par le seul volet des relations internationales, les pertes économiques supposées ne prennent par conséquent aucun compte des compensations économiques en termes de commerce intérieur. D’autre part, l’impossibilité d’évaluer en termes concrets les conséquences de la baisse du flux migratoire dans l’espace Schengen sur le « projet européen » – émanation toute conceptuelle, révèle le caractère partial de l’étude.

 

[1] European Tour Operator Association (ETOA), 2010.

[2] Les dépenses des excursionnistes sont estimées à 83,3 euros.

[3] Les données sont calculées selon la propension à payer des travailleurs -évaluation économique.

[4] Les calculs s’établissent suivant les volumes de marchandises déchargées en France dans d’autres pays de l’espace Schengen, volumes de marchandises chargées en France dans d’autres pays de l’espace Schengen, valeur du temps « marchandises », du temps « transporteur ».

[5]Source : rapport Davis & Gift, The positive effects of the Schengen agreement on European Trade », The World Economy, p. 1541-1557

aloysia biessy