Le constat jeté sur la situation économique et social de la France depuis 40 ans est alarmant. Si engager les réformes structurelles est nécessaire, le pays a beaucoup de mal à les engendrer. La Fondation pour l’innovation politique ne remet pas en cause la volonté des institutions mais bien ses lacunes en termes de méthode. On connait la situation difficile de la France, on sait sur quels leviers agir (croissance, innovation, fiscalité, éducation…). En somme : tout le monde sait quoi faire mais personne ne sait réellement comment. Pire encore : ceux qui entament des réformes s’embourbent reculent devant la difficulté. Dernier exemple en date : le recul du gouvernement sur la loi travail qui présente un texte vidé de sa substance. Faut-il conclure que réformer fait peur aux responsables politiques ?

Pour contrer cette idée, il faut assurer que réformer constitue le seul gage d’éligibilité à l’heure actuelle. Mais la Fondation en est sûre : en dépit d’un pessimisme ambiant, de bonnes réformes apporteraient la réélection. Les réformes constituent certes un risque et il faut indubitablement du courage pour les mener : en premier lieu car elles peuvent être très mal vécues par les électeurs. Mais surtout, en cas de succès, elles dépasseront le mandat du réformateur, qui n’aura donc fait que supporter les coûts et donc les critiques. Gérard Schröder par exemple, grand réformateur et artisan de la bonne santé économie allemande ne sera pas réélu pour un troisième mandat en 2005. Néanmoins, l’inverse est vrai aussi : ne rien faire et maintenir le statu quo n’assure pas une réélection. Et les exemples de grand réformateurs réélus sont légion : de David Cameron à Margaret Thatcher, en passant par l’Australien John Howard. Des études analysent la corrélation entre la mise en place de réformes libérales et les chances de réélection : les gouvernements réformateurs ont une probabilité de réélection légèrement supérieure à 50%. Réformer n’est donc pas synonyme de suicide politique.

Mais alors pourquoi la France semble-t-elle irréformable ou pire, n’être réformable que par des ruptures (1936) et en temps de crise (1945) ? Contrairement à elle, d’autres pays semblent avoir menés d’efficaces réformes : le Canada par exemple est passé d’un déficit budgétaire de 5% à un surplus de 0.3% entre 1994 et 1998. En France, depuis 1978, aucune majorité politique n’a été reconduite clairement au pouvoir, synonyme d’une réelle incapacité à voir à long terme. L’échec électoral des gouvernements français successifs s’explique en partie par leur incapacité à réformer. Pourtant la France a su se réformer paisiblement par le passé, que l’on pense notamment aux réformes de privatisation et de libéralisation successives de Bérégovoy ou Chirac. La France peut donc être réformée. Des économistes comme Elie Cohen ou Philippe Aghion prônent par exemple une libéralisation (jugée) très raisonnée du marché des biens et des services et du marché du travail, couplée à une baisse de la pression fiscale et à une lutte plus efficace contre la pauvreté, permettant une croissance du PIB de 3 % sur cinq ans.

Doit-on alors par conséquent penser que ces sont les Français qui rejettent les réformes ? Au contraire : ceux-ci sont demandeurs de réformes et frustrés face à l’absence de mouvement : en janvier 2016, 54% d’entre eux appelaient à une accélération des réformes en faveur du marché pour alléger les normes encadrant l’activité économique, pour redresser les comptes publics, pour remettre à plat la fiscalité (83 % y sont favorables) et pour rendre dégressives les indemnités de chômage (65 % favorables). Les Français attendent juste une production de résultat et se méfient des promesses, ce qui expliquent la défiance envers la classe politique : 12% seulement font confiance aux partis politiques tandis que 88% pensent que les dirigeants ne se préoccupent pas d’eux. La montée du Front National n’est que l’illustration d’une telle méfiance.

Des réformes stratégiquement préparées en amont de l’élection constituent la seule solution, même si elles peuvent être enclenchées en saisissant des opportunités circonstancielles. Le but d’une réforme est d’évaluer précisément ses conséquences, d’identifier « les perdants » pour les indemniser et les gagnants pour les mobiliser. Concernant ces derniers, il ne faudra pas hésiter à mettre en avant les premiers gains visibles. Et pour éviter de braquer les perdants, il ne faudra jamais rompre le dialogue avec eux. Ensuite, la mise en œuvre et le déploiement de la réforme doivent prévoir la lenteur de la conversion des lois en décrets d’applications et l’inertie voir l’hostilité des Français qui vont percevoir immédiatement les coûts de la réforme et non ses gains. Il faut donc emporter la conviction des citoyens en proposant un cap qui permette de se projeter. Le seul moyen est de s’entourer de membres de la société civile pour adapter le projet et le porter politiquement, en s’assurant de sa compréhension par les citoyens : la loi El-Khomri fut par exemple un désastre par son absence de communication. Réussir une réforme n’est donc pas qu’un aspect technique mais bien un processus qui engage la crédibilité de celui qui l’engage.

 

C’est pourquoi, plutôt qu’imaginer seulement 100 jours de grâce pour porter un projet, il conviendrait plutôt d’utiliser toute la période du quinquennat pour établir un calendrier des réformes : le FMI affirme par exemple que les réformes des marchés du travail ainsi que des biens et des services doivent précéder les mesures financières domestiques. On peut, indique le laboratoire d’idée, réfléchir encore à des réformes allant crescendo depuis l’élection jusqu’à mi-mandat, puis un ralentissement pour ménager les citoyens. Le recours à des ordonnances, au 49.3 ou à la session parlementaire extraordinaire permettent de raccourcir le délai d’acceptation d’une réforme alors que le référendum empêche au contraire la maîtrise de l’agenda politique.

Une fois la réforme lancée, il faut y associer les bons relais territoriaux : si aucune corrélation n’existe entre l’implication de tel échelon territorial et la réussite ou non de la réforme, il faut néanmoins faire en sorte d’éviter les blocages en jaugeant le poids politique de tel échelon territorial. A l’inverse, l’implication d’un échelon territorial supplémentaire dans la réforme peut aussi donner de la force à la réforme. Le soutien de conseils régionaux ou départementaux peut appuyer une réforme contestée sur la scène nationale. Dans tous les cas, rester en liaison avec le terrain et l’échelon local, tout en n’imposant pas un modèle à tous les types de réformes, s’avèrent nécessaire. La connexion et le dialogue, par exemple avec les syndicats, constituent donc des facteurs essentiels de réussite mais doivent se situer en amont de la réforme, dans sa préparation. Pour toute réforme relative à l’emploi par exemple, la consultation des syndicats est obligatoire et doit être menée de façon minutieuse et très en avance. Mais une fois le processus enclenché, c’est-à-dire quand le gouvernement a jugé le bon moment pour lancer une réforme (en profitant de sa légitimité…), il faudra passer outre les syndicats quand cela est possible.

En conclusion, les dirigeants politiques doivent saisir l’opportunité de 2017 pour réformer, poussés par l’appétit inédit des Français pour des résultats économiques probants. Si toute réforme est un pari, il faut en limiter les incertitudes par une préparation minutieuse, une discussion sereine et sans aucune ambiguïté. Ce n’est qu’ainsi que la réforme se fondra dans un projet à long terme, susceptible de séduire, les gagnants comme les perdants.

Source : « Gouverner pour réformer » note de la Fondation pour l’innovation politique, un think tank « libéral et progressiste ». 

N.b. Cette note fait la synthèse de la source plus haut citée et se contente d’en conserver une perspective neutre.

 

Photo : Charles Beigbeder et Grégoire Chertok au colloque  » L’équation budgétaire  » au colloque de la Fondation pour l’innovation politique.

aloysia biessy