A la tête de Famille & Liberté depuis 2013, Claire de Gatellier revient sur l’action de son association à l’aune de la déconstruction des solidarités familiales engendrée par les dernières mesures étatiques. 

FRANCE RENAISSANCE. Voilà vingt ans que Famille & Liberté a vu le jour ; votre association vise à « rendre publiques des informations sur la situation des familles et sur les conséquences qui en découlent pour la société ». Quelles sont les manifestations concrètes de cette mission ?  En deux décennies, quelle a été la portée de votre association ?

Claire de Gatellier Pendant 20 ans Famille et Liberté a joué le rôle d’un pôle de réflexion sur la condition des familles dans la société française, non pas au sens de leur vie quotidienne –d’autres associations font cela très bien – mais sur le rôle de l’institution familiale dans la société et sur les conditions dans lesquelles les familles peuvent exercer ce rôle essentiel.

Nous avons donc été amenés à analyser, depuis vingt ans, les évolutions progressives d’une politique familiale qui faisait l’honneur de la France et qui lui était enviée – et parfois copiée en partie- à l’étranger. Nos études ont montré que ces évolutions allaient toujours dans le même sens d’un abandon. Cet abandon était et est toujours justifié en filigrane  par l’idée accréditée que l’institution familiale serait une affaire privée et ne concernerait en rien l’Etat. C’est ainsi que la politique familiale s’est peu à peu transformée en politique sociale, ou en politique de l’enfance, visant à aider des individus.

Le rôle de Famille et Liberté est de rappeler et de démontrer le rôle social, démographique, économique que jouent les familles stables élevant des enfants pour perpétuer la nation et renouveler les générations productives et créatrices.

Outre des articles réguliers sur son site, dans ses publications de Lettres trimestrielles et de circulaires, Famille et Liberté a publié des études plus complètes sur Le travail des femmes, Les Enfants du divorce ou tout récemment, un Livre Blanc pour une Nouvelle Politique Familiale.

FRANCE RENAISSANCE. Parmi vos objectifs, vous souhaitez rétablir une certaine équité économique, par l’intermédiaire d’un changement de perspective sur les allocations et les abattements fiscaux : comment changer ces données alors même que les derniers débats au Parlement tendent à montrer que le gouvernement semble peu favorable à l’allègement des charges dévolues aux familles ? (Rabotage du quotient familial, hausse de la fiscalité pour les familles nombreuses, fixation de seuils pour les allocations familiales, engendrant de plus en plus aisément la division en deux ou en quatre des allocations des familles de la classe moyenne, etc.). 

Claire de Gatellier La question du quotient familial et celle des allocations familiales attribuées à tous ou non, si elles ont l’une et l’autre un effet certain sur la vie quotidienne des familles et finalement sur l’indice de fécondité, procèdent l’une et l’autre de deux registres différents alors qu’elles sont ressenties comme des cadeaux faits indument à des gens qui n’en ont pas besoin. Le plafonnement de l’un et la mise sous condition de ressources de l’autre, semblent alors participer à une « juste » redistribution des classes moyennes vers les plus modestes et personne alors n’ose s’élever là-contre.

Il faut dire et redire que le quotient familial n’est en rien un « avantage » fiscal. C’est la simple traduction mathématique du principe de progressivité de l’impôt sur le revenu « A niveau de vie égal, taux d’imposition égal ». Un revenu donné qui fait vivre une personne célibataire  procure à cette personne un niveau de vie quatre fois plus élevé que le même revenu pour une famille avec 3 enfants. Le taux d’imposition étant constitutionnellement proportionnel au niveau de vie, le « quotient familial » est là pour calculer ce niveau de vie en toute justice. Le supprimer ou le plafonner revient donc à fausser le calcul et à ne pas respecter la progressivité de l’impôt.

Les allocations familiales procèdent d’un raisonnement différent : le choix d’avoir des enfants dépasse largement le simple désir du couple. La nation a besoin d’un taux de fécondité suffisant pour assurer sa continuité, l’économie a besoin de ces nouveaux consommateurs qui seront ensuite des producteurs, des créateurs, de la main d’œuvre et des cotisants pour les politiques sociales et retraites à venir. Il est donc de l’intérêt bien compris de la nation de soutenir la stabilité et la fécondité des familles. En leur accordant des allocations familiales, l’Etat reconnaît que les enfants représentent un investissement qui profite à tous et compense quelque peu les charges qui en sont la contrepartie.

Réserver ces allocations aux familles modestes revient, d’une part, à transformer la politique familiale en politique sociale, d’autre part, à considérer que les classes moyennes n’ont pas besoin de se renouveler et que leur désir d’enfant est un choix personnel qui n’a pas d’incidence sur la nation.

C’est l’un des objectifs de Famille et Liberté de s’efforcer de convaincre qu’une politique familiale digne de ce nom doit être universelle.

FRANCE RENAISSANCE.  Parmi vos objectifs, se dénote la volonté de laisser le libre choix aux parents entre un travail salarié et l’éducation de leurs enfants. Pour autant, le gouvernement semble de plus en plus prompt à condamner cette liberté : passage des temps partiels à moins de 24 heures par semaine, prises de congé obligatoires pour les hommes (alors que dans 96% des cas, ce sont les femmes qui optent pour un congé parental,… Que fait Famille & Liberté face à de telles mesures ?

Claire de Gatellier Le libre choix des parents est au cœur de la vie familiale : libre choix de mettre au monde des enfants, de l’organisation du temps consacré à leur éducation par rapport à une carrière, de l’école qui convient à chaque enfant, etc. Famille et Liberté a ainsi consacré plusieurs articles ou études à ce thème, comme la brochure Les femmes au travail…à tout prix ? qui est une critique littérale du rapport Lemière commandé par Najat Vallaud Belkacem en 2014 et d’où sont sorties bien des articles de loi  ces deux dernières années –dont ceux que vous citez- visant à déconstruire les solidarités familiales en instaurant légalement le « chacun pour soi ». Séverine Lemière est on ne peut plus claire : « …Tous les droits sociaux familialisés valorise(nt) les solidarités intrafamiliales et constitue(nt) par conséquent potentiellement un frein à leur émancipation par l’activité professionnelle ». Elle ajoute plus loin : « le quotient conjugal véhicule une vision conservatrice de la division sexuée du travail domestique et professionnel au sein des couples »…« L’individualisation de l’impôt peut contribuer à l’émancipation des femmes en couple ». En fait, la femme doit être « émancipée » de son mari, mais pour dépendre entièrement du bon vouloir de l’Etat qui décide ce qui est bon pour elle ou pas.

FRANCE RENAISSANCE. Vous vous donnez également pour mission de protéger la jeunesse : vous avez tenu à cet égard un colloque sur le thème des « enfants du divorce ». A l’heure où le nombre de divorce atteint entre 120 000 et 150 000 couples, porter un tel sujet est délicat… Aude Mirkovic, Marc Anselme,… : de nombreuses personnalités du corps juridique et médical y ont contribué. Que retirez-vous de cette journée de discussion ? Comment protéger ces enfants vulnérables ? 

Claire de Gatellier. On parle toujours du droit des enfants…à s’exprimer, à être consultés sur tout ce qui les concerne, à être entendus, etc. On parle peu des plus fondamentaux de leurs droits : le droit à la vie et le droit d’être élevés par leurs père et mère… L’International Children’s Rights Institute, fondation américaine qui justement se préoccupe de ces droits, a souhaité organiser avec nous un colloque sur la souffrance des enfants du divorce. C’est un sujet tabou du fait de la banalisation du divorce, un sujet dont il est très difficile de parler sans risquer de blesser. Nous avons essayé de comprendre ce que vivent les enfants sans pour autant nous autoriser à porter quelque jugement que ce soit. Mais si ce n’était pas l’objet premier du colloque, oser parler de la souffrance de ces enfants a permis aussi une réflexion de fond sur la question du mariage et du divorce. Non pas pour condamner le divorce mais pour redécouvrir le mariage. La juriste Aude Mirkovic, par exemple, n’a pas hésité à affirmer  que le mariage, qui dure, est le cadre le plus adapté aux besoins des enfants, non pas parce que les gens mariés seraient les meilleurs, mais parce qu’il offre à la famille un cadre protecteur et sécurisant. Or, tout est fait pour faciliter le divorce alors qu’une seule mesure favorable au mariage, dit-elle, serait au moins aussi profitable aux enfants que tous les efforts réunis pour tenter de les protéger en cas de divorce. Depuis la publication des Actes de ce colloque, nous recevons des témoignages souvent bouleversants de grands-parents dont les enfants divorcent mais aussi d’adultes qui ne se sont jamais vraiment remis du divorce de leurs parents.

FRANCE RENAISSANCE. La dernière intervention du colloque était celle de M. Anselme : pour lui, le divorce n’est pas la solution au problème. Il faut retrouver un nouveau souffle conjugal. Comment Famille & Liberté traite-t-il ces questions ? Y trouve-t-on une structure d’accueil pour les enfants victimes du divorce ? 

Claire de Gatellier. Pour Marc d’Anselme, en effet, le divorce est bien souvent « une mauvaise réponse à un vrai problème ». Selon son expérience de psychologue clinicien, le divorce, plus souvent qu’on ne croit, se trompe de cible. Faute de rechercher les causes profondes de l’insatisfaction dans le couple en soi aussi, et dans son histoire,  on ne résout rien, et à l’échec de sa vie conjugale, on rajoute un échec grave dans l’épanouissement de sa vie personnelle. Il faut vraiment se faire aider par des gens compétents et ne pas croire trop vite que le divorce va régler tous les problèmes.

Non, Famille et Liberté n’a pas de structure d’accueil pour les enfants du divorce. Famille et Liberté est un organe de recherche et de proposition sur tous les sujets concernant la famille, son rôle fondamental dans la bonne santé de la société, et sur ce qui doit et peut être mis en œuvre pour la soutenir.

C’est ce que nous cherchons entre autre par la diffusion de notre Livre Blanc pour une Nouvelle Politique Familiale qui rappelle, pour conclure, qu’une bonne politique familiale, pour être efficace, doit répondre aux cinq critères suivants :

Une politique subsidiaire qui reconnaîtrait aux parents le droit prioritaire reconnu par la Constitution d’élever leurs enfants en se bornant à mettre à leur disposition les outils nécessaires ;

Une politique universelle qui cesserait de confondre politique sociale et politique familiale et viendrait aider toutes les familles, non pas en considération de leurs revenus mais de la différence de niveau de vie, à revenu égal, entre ceux qui élèvent des enfants et ceux qui n’ont pas cette charge.

Une politique cohérente, c’est-à-dire, une politique qui tienne compte des réalités familiales dans toutes les politiques publiques: santé, culture, logement, emploi, éducation, etc.

Une politique stable : Mettre un enfant au monde, c’est s’engager pour 20 ans ou plus. Il est insupportable pour les familles de subir, sans aucune visibilité, des coupes claires incessantes dans la politique familiale.

Une politique positive qui encouragerait au mariage et à sa stabilité, qui considérerait les enfants et même les familles nombreuses comme une chance pour la France et non pas comme des « pollueurs » ou une charge, qui verrait dans la politique familiale non pas une aumône mais une reconnaissance pour service rendu à la nation.

aloysia biessy