Dans la nuit de vendredi 27 à samedi 28 février, Boris Nemtsov, homme politique russe, libéral et pro-occidental, a été assassiné à Moscou, de quatre balles dans le dos. Pour la classe politico-médiatique occidentale, le crime porte la signature du Kremlin, les tueurs ayant forcément agi sur ordre de Vladimir Poutine. Bien que cette version soit très commode pour les opposants de la politique du président russe, il semblerait que la situation soit un petit peu plus compliquée.

Dans une tribune du Figaro, une ancienne correspondante à Moscou du journal se moque de la presse occidentale : « Faut- il en rire ou en pleurer ? «Poutine m’a tuer». «Je suis Nemstov». Toute la futilité des médias occidentaux, leur inculture, leur mépris même pour l’histoire tragique d’un pays, sont résumés par ces «Unes» dérisoires. La presse a oublié que dans les belles années de la démocratie triomphante, à l’époque des Nemtsov, des Gaïdar, des Iavlinski, des Khakamada ou des Kirilienko, des dizaines de banquiers, de députés, de journalistes ou d’hommes d’affaires ont été assassinés. »

Qui est Boris Nemtsov ?

La presse nous a présenté unanimement la victime comme l’opposant principal de Vladimir Poutine. Or c’est complétement faux. L’ancien ministre de Boris Eltsine ne représentait plus une menace depuis longtemps pour le président russe.

En 2012, Vladimir Poutine fut réélu président de Russie au 1er tour avec près de 65 % des voix. Les autres candidats étaient :

  • Ziouganov du parti communiste, avec 17 % des voix
  • Prokhorov, milliardaire indépendant, avec 8 % des voix
  • Jirinovski, nationaliste, avec 6 % des voix
  • Mironov, avec 4 % des voix

Nemtsov était déjà hors-jeu à cette époque. Il a connu son heure de gloire dans les années 90. Proche de Boris Eltsine, il devient gouverneur de la région de Nizhny Novgorod. La région gagne le surnom de « laboratoire des réformes » libérales (qui entrainent en effet un boom de la croissance économique). Margaret Thatcher en fera l’éloge lors de sa visite en 1993. Elu à la chambre haute du Parlement russe, il est nommé en mars 1997 par Boris Eltsine Vice-Premier Ministre en charge de la réforme du secteur de l’énergie. Il est alors très populaire et apparait comme le probable dauphin de Eltsine pour la présidentielle de 2000. Sa carrière prometteuse ne résista cependant pas à la grave crise économique de 1998. Il démissionna au printemps 1998. La suite de sa carrière ne fut plus qu’une succession d’échecs.

À qui profite le crime ?

Dès l’annonce du meurtre de Boris Nemtsov, l’ancien chef de l’Etat Gorbatchev a déclaré : « Le but de l’Ouest est de provoquer des tendances anti-russes. Les donneurs d’ordre de ce crime veulent accentuer la pression sur la Russie. C’est un essai pour empirer la situation, peut-être pour déstabiliser le pays et pour déboucher sur une confrontation. Bien sûr ces forces emploient certains moyens, comme la voie criminelle, pour arriver à leur objectif. Ils réfléchissent comment procéder pour liquider Poutine ». Bien que les services secrets américains aient démenti toute implication dans cette affaire, beaucoup de russes y voient une tentative de déstabilisation du pays pouvant déboucher sur une révolution de couleur, comme il y en a eu en Géorgie en 2003, en Ukraine en 2004 (soutenue activement par Boris Nemtsov), ou encore au Kirghizistan en 2005.

Comme le résume le site Sputnik, la Russie est engagée sur de multiples fronts géopolitiques, en position dominante quasiment à chaque fois :

  • Contribution à une résolution active du problème syrien en évitant la chute du président Assad et la désintégration cataclysmique de la région qui en aurait résulté.
  • Poursuite de la diplomatie économique et militaire au Moyen-Orient en signant de très lourds accords avec l’Egypte, l’Irak et la Turquie.
  • Reconduction avec Chypre d’un accord militaire de haute ampleur en matière de défense, autorisant les navires de guerre russes à mouiller dans les ports chypriotes et à utiliser les installations militaires de l’île. Ce faisant, elle consolide sa position en Méditerranée et au cœur de l’UE.
  • Renforcement en Asie de toutes ses positions (accords économiques avec la Chine, l’Inde et la Corée). Vietnam et Inde devraient en outre rejoindre la zone de libre-échange de l’Union douanière.
  • Vers une sortie la tête haute du piège ukrainien, avec le soutien des accords de Minsk en faisant pression sur les séparatistes ukrainiens, en contraignant les puissances de la vieille Europe à agir diplomatiquement en court-circuitant Bruxelles, et surtout Washington.
  • La Russie semble enfin avoir réussi à franchir le cap de la crise économique dans laquelle elle s’était retrouvée, puisque le rouble ne s’est pas effondré, contrairement aux prévisions catastrophistes de la majorité des experts, et alors que certains économistes envisagent désormais même l’amélioration progressive de la situation économique en Russie.

Il n’est pas à exclure non plus un règlement de compte interne à l’opposition libérale de Vladimir Poutine, qui essaye de se refaire une santé en se créant un martyr. Boris Nemtsov était un facteur hautement décrédibilisant pour l’opposition russe qui ne parvient pas à surmonter ses divisions systémiques, son manque de leaders charismatiques mais surtout son incapacité à proposer un programme politique crédible. Son incapacité à réémerger politiquement avait d’ailleurs plongé le défunt Nemtsov dans une forte dépression personnelle, d’autant plus que celui-ci était en voie de « remplacement médiatique total » par Alexeï Navalny en Russie, mais aussi et surtout pour le Mainstream médiatique occidental. Sa mort ré-oxygène la micro-opposition libérale en lui redonnant une raison d’être et lui permettant dimanche dernier de faire descendre dans les rues de la capitale entre 20 et 40.000 personnes selon les estimations.

 

Pour le pouvoir russe, Boris Nemtsov ne présentait pas la moindre menace, son influence politique étant devenue quasi-nulle. Soyons clairs : avec 85% de soutien au sein de la population et un printemps qui semblait préfigurer une stabilisation de la situation économique intérieure, ainsi qu’une amorce de règlement du conflit ukrainien, les autorités russes n’avaient aucune raison de prendre le moindre risque en s’attirant les foudres de la communauté internationale, et en faisant de nouveau passer la Russie pour un pays sans règles, anarchique et violent.

Rédacteur Web