En fin de semaine dernière l’Etat islamique (EI) a diffusé une vidéo montrant l’exécution barbare de 21 coptes égyptiens tombés entre ses mains en Libye. La décapitation de ces chrétiens dans la région de Tripoli est un message d’horreur, « signé avec le sang à destination de la nation à la croix », adressé à l’Occident, ainsi qu’aux pays voisins de la Libye et notamment l’Egypte. Mais il s’agit surtout d’un outil de propagande destiné à mettre en scène la présence de l’EI dans le pays. En effet si les groupes djihadistes locaux, autour de la ville de Derna, avaient prêté allégeance au califat en 2014, il s’agit de la première grosse action de propagande réellement effectuée.

Quelques heures après la diffusion de la vidéo, sur ordre du Président égyptien Sisi, des avions de combat F-16 ont mené des raids de représailles contre « des camps et des lieux de rassemblement ou des dépôts d’armes » de l’EI et notamment contre la ville de Derna, le fief des djihadistes, à 1 300 kilomètres à l’est de Tripoli.

Ces événements tragiques sont inquiétants quant à l’expansion de l’Etat islamique au sud des frontières de l’Europe. Cette expansion est malheureusement issue de l’opération franco-américaine de 2011 qui a chassé Kadhafi en outrepassant le mandat de l’ONU. La question d’une nouvelle intervention se fait entendre mais elle doit être étudiée avec beaucoup de précautions.

 

La révolution et la guerre civile :

Dans l’élan des « printemps arabes » tunisien et égyptien de nombreux Libyens ont décidé de mettre un terme aux quarante-deux ans de pouvoir de Mouammar Kadhafi, arrivé par un coup d’Etat en 1969. D’abord adulé par son peuple auquel il rend le pouvoir en créant la Jamahiriya arabe libyenne, il glisse peu à peu vers l’autoritarisme et la dictature. Diabolisé par la communauté internationale de par son interventionnisme en Afrique et son soutien au terrorisme, il redevient « fréquentable » dans les années 90, étant notamment accueilli à Paris en 2007 par le président Sarkozy.

En février 2011, des manifestions en Cyrénaïque à l’Est du pays, région traditionnellement rétive à l’autorité de Kadhafi, sont réprimées violemment par balles. L’insurrection commence à Benghazi puis s’étend au reste du pays. S’ensuit alors une guerre civile entre différents groupes rebelles et l’armée et les mercenaires fidèles à Kadhafi. La contre-offensive de l’armée libyenne aurait probablement réussi sans le soutien et l’engagement aérien des forces françaises, américaines et britanniques au Comité national de transition. Après un vote de résolution à l’ONU le 17 mars 2011, une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye est créée.

Dès le 19 mars des raids aériens de la coalition sont lancés contre les forces gouvernementales libyennes. Loin de s’en tenir au mandat de l’ONU de « protection des populations civiles », la coalition entraine le renversement du régime. Forts des bombardements les insurgés reprennent peu à peu le terrain et Mouammar Kadhafi est assassiné le 20 octobre 2011. La chute de Kadhafi et la guerre civile au nom de la démocratie cèdent alors place à une situation d’anarchie en Libye et a l’arrivée de l’Etat islamique.

 

La chute de Kadhafi, l’anarchie et l’EI :

La chute de Kadhafi a été un coup terrible pour la stabilité du pays et de la région. Avec cette révolte armée, les trois régions libyennes, toujours difficilement unifiables semblent irréconciliables, chaque tribu, chaque ethnie ou chaque groupe armé cherchant à s’emparer du pouvoir. En Libye, le gouvernement est dans l’incapacité de dissoudre ou de désarmer les groupes d’ex-rebelles qui font la loi, dans un pays en proie au chaos et doit s’appuyer sur certains pour tenir face aux autres. Si avec Kadhafi les frontières de la Libye étaient plutôt contrôlées et les mouvements djihadistes combattus, sa chute leur a laissé le champ libre pour œuvrer dans le pays. Les milices africaines noires, employées par Kadhafi pour sa sécurité car jugées plus fiables ont été chassées du territoire et sont venues par la suite grossir les rangs des djihadistes que les soldats français combattent notamment au Mali.

Des combats éclatent régulièrement dans différents points du pays, entre groupes armés, prenants à partie le gouvernement, les populations civiles et les intérêts étrangers. Ainsi le 11 septembre 2012, une attaque de « manifestants » islamistes contre le consulat américain de Benghazi a conduit à la mort de l’ambassadeur américain en Libye et de trois fonctionnaires. Les attaques contre les occidentaux et les représentants du gouvernement central se multiplient.

L’Etat islamique s’implante en Libye à travers un groupe affilié qui lui prête allégeance dès 2014 dans la ville de Derna. Ce groupe revendiquant des attentats et développant des cellules clandestines dans trois « wilayat » est passé à la vitesse supérieure. Depuis janvier, il est engagé dans une expansion rapide, fondée sur un ensemble d’attaques,  dont celle de l’hôtel Corinthia, à Tripoli, qui a fait entre neuf et douze morts, ainsi que dans des démonstrations de force dans plusieurs ­localités, avec une volonté manifeste d’ « internationaliser » leur action.

Au cours des dernières semaines, des installations pétrolières situées au sud de la côte reliant la Tripolitaine à la Cyrénaïque ont été attaquées. Une longue colonne de plusieurs dizaines de véhicules aux couleurs de l’EI s’est déployée à Nawfaliyah, sur la côte, à environ 150 km à l’est de Syrte. Le gouvernement Libyen ne peut rien et pour cause, dans un Etat presque « failli », divisé avec deux parlements et deux gouvernements et de nombreuses milices.

 

Quid d’une intervention internationale ?

Suite aux ripostes égyptiennes en réponse à la mise à mort des 21 coptes, le Président Sisi a devant l’ONU appelé la Coalition internationale, qui bombarde l’EI en Irak et en Syrie, à « prendre les dispositions nécessaires pour combattre Daech et les organisations terroristes similaires sur le territoire libyen ».

Si les Emirats arabes unis s’alarment depuis des mois du chaos libyen, le Qatar et la Turquie, ne veulent pas d’un nouveau front anti EI alors qu’ils soutiennent une partie des groupes islamistes libyens.

En Europe, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne se sentent de nouveau pas directement concernés par ce problème, alors que l’Italie, dont les frontières ne sont qu’à quelques centaines de kilomètres des côtes libyennes, s’alarme de la situation.

La question d’une potentielle intervention militaire française en Libye se pose à nouveau pour ne pas laisser se développer les groupes combattus dans les pays voisins et afin de réparer les graves conséquences de l’intervention de 2011. Par sa volonté d’établir, par les armes, la démocratie au Moyen-Orient et au Maghreb, l’Occident a contribué non seulement à déstabiliser la région, mais également à favoriser le développement de groupes islamistes terroristes. Cela a été le cas de l’intervention américaine en Irak en 2003 et de l’intervention en Libye en 2011. Si une simple intervention militaire aérienne est efficace et stratégique, elle doit néanmoins s’accompagner d’un volet diplomatique et d’un « service après-vente » destiné à ne pas laisser les pays sombrer dans l’anarchie.

Si une nouvelle intervention en Libye parait indispensable elle ne pourra pas être seulement aérienne. Trop de frappes riquent de favoriser la propagande des djihadistes et le déploiement d’hommes au sol devrait être considérable pour être efficace. Au début du XXème siècle, l’Italie a mis 20 ans à contrôler le pays (1912-1932), dans un contexte beaucoup moins complexe qu’aujourd’hui. La France est déjà trop engagée militairement à travers le monde et dans la région pour intervenir une nouvelle fois seule.

 

S’il doit y avoir une nouvelle intervention le mandat de l’ONU devra être clairement établi et respecté. Une nouvelle intervention militaire ne pourra enfin pas être dépourvue de projet politique sous peine d’être une nouvelle fois inutile et catastrophique pour la stabilité de la région.

 

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