Conséquence logique du mariage et surtout de la « filiation pour tous », la gestation pour autrui (GPA) risque bien d’être légale en France. La philosophe Sylviane Agacinski, épouse de l’ancien premier ministre Lionel Jospin, a déclaré au micro de Jean-Michel Apathie : « Inscrire à l’état civil les enfants nés par gestation pour autrui serait un scandale ». C’est pourtant ce que le procureur général a recommandé vendredi dernier à la Cour de cassation, réunie pour examiner deux pourvois sur la transcription à l’état civil d’actes de naissance d’enfants nés par GPA en Russie de pères français. Alors que le recours aux mères porteuses reste interdite en France, la retranscription automatique de l’acte de naissance étranger sur l’acte civil français revient à reconnaître de façon automatique cet acte illégal. Christiane Taubira s’est déclarée favorable à cette mesure déclarant que les enfants nés à l’étranger de GPA n’avaient pas à « répondre de leur mode de conception » et avaient « le droit à leur inscription à l’état civil ». Verdict final de la Cour le 3 juillet prochain, nouvelle occasion de tester l’indépendance de notre justice.

La gestation pour autrui, une pratique inacceptable

La gestation pour le compte d’autrui est une pratique consistant pour un couple ne pouvant pas avoir d’enfant à conclure une convention avec une femme, pour que celle-ci porte un enfant, enfant pouvant ou non être conçu avec les gamètes du couple, qu’elle s’engage à abandonner après sa naissance afin qu’il soit élevé par ce couple. Les couples recourant à la gestation pour le compte d’autrui peuvent être des couples de personnes de sexes différents dont la femme est atteinte d’une infertilité l’empêchant de porter un enfant, ou des couples composés de deux hommes.

Cette pratique est préoccupante, la légaliser ou la tolérer serait terrible pour la société et notamment pour les enfants conçus ainsi.

Selon Aude Mirkovic, juriste spécialisée dans le droit de la famille, « la GPA organise, planifie, la conception d’un enfant dont il est prévu ab initio qu’il sera séparé de la femme qui l’a porté. On impose donc à cet enfant, délibérément, une blessure d’abandon. Le fait que certains enfants vivent cela, du fait des malheurs de la vie, ne justifie en rien de l’organiser. En outre, un enfant adopté sait que ses parents adoptifs ne sont pas responsables de ce qu’il a vécu et que, au contraire, ils sont intervenus pour « réparer » ce qui lui été arrivé, à savoir manquer de son père d’origine, de sa mère d’origine ou des deux. En revanche, lorsque les enfants vont réaliser que cette blessure leur a été infligée, non du fait des aléas de la vie mais par la décision délibérée de ceux-là même qui prétendent les aimer, cela va sans doute faire beaucoup de dégâts. »

Cette pratique prive l’enfant d’une branche de sa filiation biologique, car la femme qui le reçoit n’est pas sa mère biologique. Là encore, c’est une situation que les malheurs de la vie peuvent susciter, mais il est injuste de l’infliger délibérément à l’enfant, pour satisfaire le désir d’enfant d’autrui. Lorsque la GPA intervient au profit d’un couple d’hommes ou d’un homme seul, l’enfant est non seulement privé de sa mère, mais de mère tout court. L’enfant est privé de lignée maternelle.

De multiples manières, la GPA réalise une grave maltraitance à l’égard de l’enfant, au mépris de ses droits élémentaires et, notamment, son droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux, protégé par la Convention de New York sur les droits de l’enfant, que la France a ratifiée.

La question de la mère porteuse et de la « location d’utérus », sorte de néo esclavagisme, est préoccupante. Acheter à une femme l’abandon de l’enfant qu’elle a porté est toujours une pratique indigne. L’exploitation des femmes pauvres et l’utilisation des femmes, pauvres ou non, comme machines à fabriquer des enfants est inacceptable. Pourtant certains comme Pierre Bergé essaient de nous faire croire que « louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine » sont deux choses similaires et que la GPA est donc moralement acceptable.

La GPA restant mal vue, à juste titre, en France et dans de nombreux pays, les couples demandeurs se rendent à l’étranger, souvent aux Etats-Unis ou en Thaïlande[1], puis reviennent avec l’enfant qu’ils font reconnaître en France sans être inquiétés par la loi. Si la GPA est interdite en France, elle est tolérée voir encouragée par la « circulaire Taubira ».

La GPA et le droit français

En 1991, l’assemblée plénière de la Cour de cassation se prononça fermement contre la GPA, en décidant que « la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ».

En vertu du principe d’indisponibilité du corps humain, la GPA est interdite (par la première loi de bioéthique en 1994) en France sous l’effet de l’article 16-7 du code civil qui dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Entre 2009 et 2011, le Conseil d’Etat et le Comité consultatif nationale d’éthique (CCNE) ont préconisé le maintien de l’interdiction. Au cours des débats parlementaires sur la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, tous les amendements déposés, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, visant soit à légaliser la GPA, soit à lui reconnaître des effets juridiques en France lorsqu’elle a été réalisée à l’étranger, furent largement repoussés.

Et pourtant l’efficacité de cette interdiction est menacée par deux mesures.

L’arrêt Mennesson contre France a été rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 26 juin 2014, dans le cadre d’une affaire dans laquelle un couple français, après avoir eu recours en Californie à une GPA, s’était vu refuser la transcription des actes de naissance des enfants à l’état civil français. La CEDH a jugé que ce refus portait « atteinte au droit des enfants au respect de leur vie privée, dont le droit à la reconnaissance de l’identité et de la filiation constitue un aspect ». Étonnement ou habilement, la France n’a pas fait appel de cette décision, acceptant par là le recours par des Français à la GPA à l’étranger.

Cette décision vient en effet conforter une circulaire du Ministère de la Justice, dite « circulaire Taubira », qui a été rédigée fin janvier 2013, afin de faciliter la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants conçus par GPA à l’étranger.

En mai dernier, le tribunal de Grande Instance de Nantes a ordonné que trois enfants nés par GPA à l’étranger soient inscrits à l’état-civil. En juin 2014, la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) avait condamné la France pour refus de transcriptions d’actes civils pour des enfants né par GPA. Selon elle, le refus d’inscrire les enfants à l’état-civil « portait atteinte à l’identité » et était « contraire » à la convention des droits de l’Homme. Le TGI de Nantes a donc décidé de se ranger aux côtés de la décision européenne.

Face à cette situation entre refus officiel de la GPA et obligation par la CEDH de reconnaissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger, le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Claude Marin a imaginé un équilibre périlleux. Le procureur général a présenté ses conclusions qu’il avait déjà divulgué publiquement avant audience devant l’assemblée plénière de la Cour, réunie le 19 juin. Il recommande de reconnaître la filiation paternelle des enfants nés de GPA à l’étranger à l’état civil français, sous réserve d’une expertise judiciaire pour prouver l’existence d’un lien biologique. Mais il n’évoque pas la reconnaissance de la filiation avec leur mère « d’intention ». Un silence peut laisser penser que cette dernière resterait dans l’ombre : absente du livret de famille français de l’enfant et uniquement mentionnée, comme c’est aujourd’hui le cas, sur l’acte de naissance étranger.

Cette proposition ne convainc personne. Pour la Présidente de la Manif pour tous, Ludovine de la Rochère « cela revient à reconnaître les effets des conventions de mère porteuse en France. Et cela ne règle pas les difficultés de ces enfants achetés et arrachés à leur mère. »

Si la Cour de Cassation devait suivre les conclusions de Jean-Claude Marin le 3 juillet prochain, elle changerait la jurisprudence qu’elle avait observé jusqu’alors. La pratique inacceptable de la GPA ne trouverait quasiment plus aucun obstacle pour être légalisée officiellement en France.

[1] Il faut noter que  le Parlement thaïlandais a adopté  le 28 novembre 2014 en première lecture un projet de loi visant à interdire le recours aux mères porteuses.

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