L’abbé Guillaume de Tanoüarn, directeur des revues Respublica christiana et Objections, prêtre de l’Institut du Bon Pasteur, curé du Centre Saint-Paul (Paris), est docteur en philosophie. Entre autres livres, il a publié  Jonas ou le désir absent (Via Romana, 2009) et Parier avec Pascal (Le Cerf, 2012). Son ouvrage sur Cajétan, qui reprend la thèse qu’il a écrite sous la direction de Bruno Pinchard, en fait un des philosophes et thélogiens les mieux renseigné de notre époque. Le programme de son dernier livre, sorti l’an dernier aux éditions Via Romana, est contenu dans son titre : c’est Une histoire du mal en deux cents cinquante pages.

Mais tout de même, s’attaquer à l’histoire du mal, cette question qui taraude l’humanité depuis ses débuts, et dans la tradition européenne depuis la Genèse, n’était-ce pas un pari trop difficile ? C’est en tout cas un pari réussi : alliant une grande érudition et une grande proximité, le prêtre de l’Institut du Bon Pasteur parvient à répondre avec simplicité aux questions les plus récurrentes de l’histoire humaine. Pourquoi le mal est-il plus facile que le bien ? Pourquoi la mésentente séculaire entre les deux sexes ? Pourquoi la violence ? Pourquoi le déluge et les apocalypses à répétition au cours de l’histoire ? Pourquoi ces différences entre les cultures, génératrices de conflits ? L’humanité peut-elle s’autodétruire ? Ces questions, que la philosophie moderne n’ose plus aborder, sont pourtant les seules qui importent en fin de compte. C’est là que se joue le drame de l’existence humaine, sa raison d’être, voire sa vocation.

Contrairement à ce que le titre pourrait laisser croire, il ne s’agit pas là d’une histoire des turpitudes de l’humanité, ni de sa créativité prodigieuse pour l’invention de nouvelles tortures ou de nouvelles malices. Ce n’est pas la recension de toutes les guerres et de toutes les haines qui ont parfois sarclés l’humanité des hommes qui les commettaient. Il s’agit bien d’une histoire théologique, philosophique, voire parfois psychanalytique du mal, de sa genèse et de son déploiement, de son essence et de son existence au long des siècles.

Cette histoire du mal est guidée par une idée : si le mal existe, sans conteste, dans ce monde, il n’en est pas pourtant originaire. Cette vérité est annoncée dès le prologue: « le mal est surnaturel », et explicitée dès les premières pages : « Le mal véritable possède quelque chose de surnaturel. Il met en cause Dieu lui-même avec une violence redoutable. Les philosophes disent que le mal est une absence. Ils ont tort de s’en tenir à cette phénoménologie transcendantale. Concrètement, le mal est une puissance contre laquelle souvent il semble qu’il n’y ait rien à faire. »

À chaque époque le mal semble parfois sur le point de l’emporter, Guillaume de Tanoüarn nous montre la réponse que les chrétiens croient divine. Comme le dit le poète allemand Hölderlin, souvent cité par le directeur du Centre Saint-Paul, « lorsque croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Alors notre auteur traque sans relâche dans la Bible le sens du mal qui est là et qui traverse la vie des hommes. Il en va du salut des âmes ! Le catéchisme est parfois trop sec pour assécher les larmes de cette vallée, même s’il est difficile de bien lire la Bible. Il faut la prendre telle qu’elle est, telle qu’elle fut définie canoniquement, en cherchant ardemment le sens littéral, « le sens que l’écrivain sacré a eu l’intention de donner à son texte. » Alors le prêtre prend ce problème à bras le corps et c’est sous le signe de la Femme que le Livre de la Genèse et le Livre de l’Apocalypse envisagent l’avenir d’un monde délivré.

Finalement, c’est la recherche du cœur de Dieu qui motive cet ouvrage. Quel est ce cœur qui permet le péché aux hommes sans le connaître ? « Le fils de Dieu s’est-il fait péché pour nous sans connaître le péché ? Sans savoir ? Sans s’attendre à ce qui lui arriverait ? Impossible. », tranche-t-il. Pour autant, Dieu serait-il péché ? Non, la raison même s’effondrerait par cette affirmation. Elle ne peut même être entendu à moins d’admettre que le mal est surnaturel (c’est “contre les puissances et les dominations qui sont dans ce monde de ténèbres” que saint Paul nous invite à combattre) et que Dieu a accepté de se faire péché pour nous sur la Croix (comme l’indique saint Paul aux Galates [III, 13] et aux Corinthiens [V, 21]). Plus avant, l’abbé poursuit : « Nous avons peur du péché et c’est à tort. Sans le péché, il n’y aurait pas l’humilité et sans l’humilité c’est-à-dire sans la remise de soi à Dieu il n’y aurait pas la divinisation. » La culpabilisation, le scrupule dénaturent la souffrance chrétienne.

De fait, Guillaume de Tanoüarn conclut naturellement : « On peut dire que le mal est une invention  de Dieu: l’épreuve qui se dresse entre soi et son bonheur. L’épreuve qu’il faut emporter pour devenir Dieu. » Dans une perspective thomiste, Dieu étant la cause première et libre de tout ce qui advient, « Dieu est l’histoire du monde dans toutes ses dimensions même les plus horribles ». Le mal ne peut être mis entre parenthèse, et ne peut donc être compris autrement que la croix nécessaire à la gloire.

L’auteur, appuyé sur les saintes écritures, s’attaque donc à la racine même philosophique de ce mal, proposant une réponse surnaturelle à un problème surnaturel. Par d’habiles comparaisons, dont il est coutumier, l’homme de Dieu élabore une réflexion dont l’aboutissement est l’amour. Il rassemble les exemples, non pour accabler l’humanité, mais pour lui montrer que la seule manière d’éviter la « spirale autodestructrice du péché » se trouve dans l’amour : « Le but de celui qui essaie d’éviter la spirale autodestructrice du péché, c’est d’entrer dans ce champ de l’autre qui s’appelle l’amour, l’amour comme absolu, l’amour capable de nous décentrer de nous-mêmes, l’amour divin. Un amour dont la matière oblative est le Moi dans tous ses états. Un amour qui intègre le sacrifice : “Parce que tu étais agréable au Seigneur, il était nécessaire que la tentation t’éprouve” ». (Tobie 12,13)

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