Par Robert D. Kaplan.

Le fait marquant dans cet ouvrage est l’importance et le poids incontestable de la géographie dans l’évolution des sociétés et dans les moments clés de l’histoire. Ainsi certaines régions du monde, de part leur emplacement géographique, sont plus enclines à être conflictuelles que d’autres

L’auteur commence donc son ouvrage en illustrant combien l’homme s’est adonné à des guerres de plus en plus idéologiques et de moins en moins réalistes, au nom d’une certaine morale, prétendument universelle. Mais ce faisant, les conflits sont devenus encore moins justifiables qu’ils ne l’étaient auparavant, car outrepassant les réalités géographiques pourtant indéniables. En effet, l’héritage géographique, mais aussi historique et culturel impose des limites aux opérations de politiques étrangères et seul le réalisme est à même de mener à bien une opération en se fondant sur les cartes et non sur les idées comme les biens de consommation, la liberté ou encore les droits de l’homme. Et l’opinion publique joue un rôle crucial dans cette approche, puisque le but est de la contenter et de la rassurer, « la nature humaine [étant] fondée sur la peur, l’intérêt personnel et le souci des autres ». Le réalisme est par conséquent plus important que les institutions internationales servant à garantir la paix, mais illustrant en fait un équilibre instable et précaire (Morgenthau). Comme le dit Robert Kaplan, « Pour les réalistes, l’ordre prime sur la liberté, la liberté ne découlant que d’un ordre stable ». Ainsi le socle du réalisme est bien la géographie, ce qui implique la cartographie, instrument de « domination à visée impérialiste ». L’action humaine est donc limitée par les paramètres géographiques, qui expliquent la situation économique des pays et continents, ainsi que leurs différences.

La situation géographique est le point de départ de tout développement de particularités dans chaque grand ensemble culturel. Dès lors, force est de constater qu’une perte de repères s’est opérée lors du passage de la civilisation occidentale urbaine à la civilisation mondiale. Or, pour W. McNeill, l’évolution des peuples ne s’explique pas que par la géographie, mais aussi par l’importance de l’action humaine. Toynbee explique quant à lui que la complexité géographique a facilité l’essor de la civilisation en Europe : dans un cadre particulièrement inhospitalier, mais pourvu de nœuds de communication naturels, le commerce s’est rapidement développé. A l’inverse, si l’environnement est trop hostile, il risque d’entraîner le déclin d’une civilisation. A notre époque, l’événement crucial est la colonisation de l’espace entier, qui nous confine de plus en plus dans un monde clos aux frontières figées, ce qui a un impact géopolitique très important, ainsi que géographique. « Nous avons peuplé presque tout l’espace et le monde naturel n’est plus qu’un réservoir de ressources qui a perdu sa beauté initiale ». La croissance urbaine a entraîné la diminution de l’agriculture, ainsi qu’une métamorphose religieuse et identitaire remarquable voire inquiétante dans certains cas : nous sommes ainsi passés « d’un islam paysan à un islam comme idéologie austère » utilisée à d’autres fins. Par conséquent la guerre est aujourd’hui devenue un « instrument du fanatisme religieux ou nationaliste ». Pour M. Hodgson, qui a développé la notion de l’Oekoumène (l’espace habité), la géographie explique, en partie, la naissance de la religion. Il prend l’exemple de la Mecque comme berceau commercial et l’arrivée de Mahomet, important marchand. Cette plateforme commerciale et religieuse qu’était la Mecque explique la rapidité de l’expansion de l’islam, puisque exportée par les commerçants et marchands passant
par la Mecque.

La géopolitique est donc l’influence de la géographie sur les luttes humaines. Pour Mackinder, géopoliticien, la civilisation européenne est le résultat de luttes contre les invasions asiatiques, donc de la défense du territoire. Ceci expliquerait, en partie, l’exclusion de la Russie, ainsi que son sentiment d’infériorité, vaste pays au sein de l’espace appelé « Eurasie » et seul territoire à ne pas être 100% européen. Or l’Eurasie est précisément au cœur des luttes, puisque carrefour de différentes civilisations. En cela le Moyen-Orient dépeint par Mackinder ressemble à l’Oekoumène de Hodgson. Pour Mackinder les forces géographiques sont supérieures aux cultures humaines, ce qui le pousse à reconnaître le rôle incontestable à venir de l’Eurasie dans la géopolitique.

R. Kaplan se penche également sur l’importance des mers, comme espace stratégique influent sur la politique continentale. Pour A. Mahan, la mer est un « grand espace commun des civilisations ». Il insiste sur l’importance de la connaissance des guerres navales, comme révélatrices de l’Etat d’esprit des Etats vis-à-vis de leur position géographique. En effet la géographie maritime renseigne sur les différents nœuds de communication, dont le contrôle renforce l’hégémonie maritime, comme le détroit de Panama. Mais pour Julian Corbett, ce n’est pas en verrouillant un espace maritime qu’on le contrôle mieux. On observe ainsi deux tendances : la première est l’armée navale américaine (US Navy) laquelle, avec de moins en moins de navires, patrouille pour assurer la sécurité du commerce internationale. La deuxième est l’armée chinoise et indienne, toujours plus puissante et omniprésente.

Pour Paul Bracken, le monde est dans une crise d’encombrement. Deux logiques s’opposent : celle d’une mondialisation concurrentielle et celle d’un nationalisme eurasien toujours plus important. La géographie, au lieu d’être une échappatoire, serait désormais une prison et bientôt « il n’y aurait plus d’abris nulle-part ». La puissance d’action devient supérieure aux frontières, qui ne sont que des lignes imaginaires dessinées par les hommes et non une réalité géographique. La distance cesse d’exister et peu à peu les technologies de rupture remettent en cause les structures du pouvoir. On assiste finalement, d’après Kaplan, à une modification de l’équilibre mondial dans le sens de l’Asie et dont le seul remède à la violence et aux conflits sera la diplomatie. La carte du monde se rétrécit en fin de compte, puisque les alliances de la Guerre Froide seront bientôt abandonnées. L’auteur mentionne Malthus et le regain d’intérêt général pour ses travaux face à une augmentation de la population, pas tellement en tant que telle, mais plutôt de la population urbaine, qui prouve que l’homme ne peut pas être seul et a besoin d’être au sein d’un groupe, fut-il fictif (ce que les réseaux sociaux n’illustrent que trop bien). Un des remèdes serait justement d’étudier la géographie du peuplement, afin de comprendre, par la suite, le rôle de la psychologie des masses.

Le défi actuel est, pour Kaplan, de prévoir les « conséquences potentiellement destructrices de la combinaison entre nationalisme et technologies de rupture en Asie (Pakistan, Inde, Chine) ». La revanche de la géographie, c’est donc comprendre que dans tout conflit, quel qu’il soit, et surtout les nouveaux conflits par missiles, il faut avoir des bases armées et donc nécessairement se fonder sur une approche géographique du territoire. Autrement dit, mêmes les conflits d’ordre idéologiques ont un besoin impératif de revenir à la réalité de la géographie pour mener leurs combats.

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