L’une des idées essentielles de cet ouvrage est la façon dont la République s’est construite paradoxalement en réfutant totalement le modèle organique propre à la société de l’Ancien Régime tout en essayant après coup de faire siens certains concepts et idées. Les deux principes organiques, bien éloignés de la « conception mécanique et individualiste des temps modernes », hérités de la vision chrétienne de la société, sont la subsidiarité – dont le but est d’assurer l’harmonie au sein de l’Etat, et la finalité – qui vise à réaliser l’unité de l’Etat en harmonisant les fins respectives de l’ensemble des groupes, au-delà de leur variété. L’auteur affirme également l’importance de la famille dans la conception organique de la société et au fondement de l’ordre royal. Ce sens instituant de l’organique, « relatif à la constitution de l’être », est complété par un sens organisationnel, servant un organisme vivant. Or aujourd’hui force est de constater que l’opinion publique ne retient que le sens purement organisationnel de l’aspect organique de la société, optant de fait pour une représentation individualiste rompant avec le modèle familial. Mais de fait l’ordre organique résulte d’un fait naturel souvent involontaire et non d’un contrat, où s’applique le principe général du bien. Ainsi, l’union naturelle des hommes provient du désir de procurer le bien à autrui. Mais si l’ordre organique est coupé de la véritable nature, il devient totalitaire : débarrassé de toute notion d’ordre moral enraciné dans l’absolu, sur les bases du positivisme, la société créée sera pour Auguste Comte soumise à une « physique humaine ». Aujourd’hui la conception organique ayant inspiré la vie en société est considérée comme nocive sinon improductive. La révolution change radicalement la notion de la cité, qui devient un corps propre, une réalité qui rejette l’organique. Mais comme le souligne Marie-Pauline Deswarte, deux problèmes font leur apparition : tout d’abord les traces laissées dans la société française d’un « très long vivre-ensemble organique », puis la rencontre avec le « réel ».

Dans la société organique de l’Ancien Régime, Dieu est consubstantiel à la France. Pour que l’action humaine soit légitime, elle devait « correspondre à la loi divine exprimée d’abord dans la loi naturelle ». La présence de Dieu est donc au fondement de la nature même de l’homme et des lois régissant le vivre-ensemble organique. Par conséquent, la cellule familiale de base était au premier plan. Mais la Révolution bouleverse l’ordre établi en rejetant l’ordre surnaturel et en revendiquant un épanouissement atteignable en devenant « son propre principe, sa loi et sa fin ». Fatalement cette considération porte en elle la destruction de l’ordre social car invitant chacun à se considérer comme son propre dieu. La révolution place donc Dieu au second plan, Il est présent mais seulement à l’endroit choisi et voulu par les révolutionnaires. Il sera appelé l’ « Être Suprême », sans aucun principe vital. Et petit à petit la « nature » va remplacer Dieu, la religion étant simplement utile à consoler le peuple (Rousseau). Plus tard, Dieu sera définitivement renié, rejeté et abandonné : les révolutionnaires souhaitent abolir l’Eglise éducatrice des peuples, et absorber le fait religieux par le pouvoir. De fait, le religieux est obligé de devenir politique, alors que l’ordre précédemment établi conférait une juste place aux deux. Les Conventionnels vont reprendre l’image « divine » sous des dehors antiques. La foi révolutionnaire est donc l’image même de la nouvelle République, s’appuyant sur la figure de Marat et sur la Raison comme âme. Finalement, force est de constater que Dieu ne sera jamais totalement rejeté, la République constatant son utilité : elle passera simplement de monarchique à républicaine. Malgré cela, ces deux transcendances ne sont pas compatibles, la présence de Dieu étant réellement ancrée dans le peuple Français. Ainsi, la nouvelle République subit un éternel mouvement pendulaire entre le recours à Dieu ou non, posant un réel problème quant à la « recherche de la vérité essentielle à l’action politique ». Finalement, la nouvelle transcendance sera la promotion de la laïcité républicaine, remplaçant l’Eglise dans le domaine spirituel. Mais celle-ci désorganise complètement la société, puisque imprécise et donnant lieu encore aujourd’hui à de nombreux amalgames et erreurs juridiques. De plus, la laïcité détruit l’idée même de transcendance, puisque impliquant l’égalité de toutes les religions. La religion comme l’explique l’auteur n’est donc plus qu’une « option », et toutes les religions ayant la même valeur, la vérité n’existe pas. Et cette transcendance républicaine se traduit par conséquent par l’émergence des droits de l’homme. Or si la jeune République reconnaissait l’importance et le droit sacré à la vie, d’ailleurs issu de la loi naturelle et profondément inscrit dans les Evangiles, la République actuelle a modifié sa constitution originelle. Ce faisant elle commet une double erreur : elle se ment à elle-même puisque le principe était inscrit dans la constitution originale, et au lieu de protéger ces citoyens elle s’ancre dans une démarche totalitaire. « Le résultat est le désordre de l’homme livré à l’homme ». Puisque chacun est son propre dieu, chacun s’appartient et dans le respect des valeurs démocratiques et fondamentales de la République jouit de droits individualistes. La transcendance de substitution est donc destructrice de la vérité, puisque empêchant la société de la rechercher, et destructrice de la République, dont elle détruit les principes de base.

Pour pallier les manques évidents de la République, celle-ci va utiliser le principe organique de la représentation, mais en la dénaturant car n’ayant pas une vision juste de la nature humaine. L’ordre établi sous l’Ancien Régime était organique, chaque ordre possédant son type de suffrage « libre » lui étant propre. La révolution va faire émerger le concept individualiste de la représentation, désagrégeant le corps électoral du pays car ne voulant pas d’un vote consolidant la hiérarchie. L’ordre suprême devient la nation, elle remplace tout. Les hommes élus ne sont pas supérieurs car soumis à la volonté souveraine des électeurs, incarnée dans la nation. Cette idée sera mise en place par l’abbé Sieyès. En effet, le gouvernant empêcherait le citoyen d’exercer son libre pouvoir. La Révolution française a donc eu pour objectif de supprimer le chef afin de permettre la réalisation individualiste de chaque individu, niant la communauté du vivre ensemble. « Chacun est une véritable parcelle du souverain », il n’y a plus de privilèges, chacun ayant autant de droits qu’autrui pour parvenir à son cheminement personnel. Finalement l’on passe d’un corps électoral concret et fragmenté à un corps abstrait et unitaire. Le nouveau droit public émergeant est celui d’une nation souveraine représentée pour et par elle-même. L’ancien découpage territorial va donc être supplanté par la création des départements, dont le but n’est pas de régler les affaires locales ou de répondre a une quelconque forme de liberté, mais bien une gestion des affaires nationales : aucune compétence n’est requise, il s’agit purement de « distributions » comme le dit Guillaume Bacot. Ce désir de centralisation passe par le principe de souveraineté populaire, mais les révoltes des paysans de France, notamment en Vendée, montrent bien l’attachement des Français à la diversité territoriale des collectivités. Un retour à la décentralisation est alors envisagé, « la démocratie locale [donnant] une chance à l’individu de rester libre ». Mais se développe un nouveau mouvement pendulaire entre centralisation et décentralisation, mettant en péril l’équilibre déjà précaire de la République.

Finalement, Marie-Pauline Deswarte constate que la République « organique » telle qu’elle est aujourd’hui est illégitime : en effet la légitimité organique au sens premier du terme fait encore l’objet d’un refus républicain. La République se veut légitime, mais sans les principes organiques essentiels à l’Etat de droit. La légitimité organique sera d’ailleurs instrumentalisée par la Ve République, celle-ci utilisant certains principes organiques pour s’imposer – comme pour défendre la communauté nationale en tant que corps organique en France lors des événements en Algérie. Mais la France que la République a « investit » à sa propre substance, réalité charnelle et spirituelle, qui ne cède pas forcément aux exigences de l’idéologie républicaine. L’ultime remède est alors pour l’auteur la « légitimité organique », dont la raison d’être est dans la protection de cette substance.

France Renaissance

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