Fermeture de sites internet faisant l’apologie du terrorisme, installation d’une « boîte noire » chez les opérateurs télécoms, le projet de loi renseignement, présenté ce jeudi en Conseil des ministres peut faire craindre une atteinte aux libertés individuelles.

Réagir sous le coup de l’émotion n’a jamais été une bonne stratégie politique. Or l’opinion publique semble n’être guidée plus que par celle-ci. Que le peuple n’ait pas toutes les clés en main pour comprendre les événements et avoir une vue d’ensemble est compréhensible. Que des dirigeants politiques réagissent exactement pareil est plus inquiétant.

Après les attentats de Charlie Hebdo, une idée a surgi et a été reprise en boucle : un Patriot Act à la française est nécessaire et aurait pu éviter le drame. Un sondage adressé aux lecteurs du Parisien affichait le résultat suivant : sur 25 000 votants, près de 90% des sondés réclamaient des lois d’exception contre le terrorisme. Le député des Yvelines Valérie Pécresse twittait ceci lors de la marche républicaine : « Il faudra bien entendu un Patriot Act à la française. Il faut une réponse ferme et globale. » Même si elle a rétropédalé depuis, le mal est fait, l’idée est là.

Qu’est-ce que le Patriot Act ?

Le Patriot Act américain est une loi qui renforce les pouvoirs des autorités américaines et simplifie les procédures de lutte contre le terrorisme. La CIA, le FBI, la NSA ainsi que l’armée américaine en ont été les premiers bénéficiaires. Ces procédures ont été mises en place très rapidement à la suite des attentats du 11 septembre. Le traumatisme causé par l’effondrement du World Trade Center dans l’opinion américaine incite le Congrès à voter dans l’urgence et unanimement un texte de 300 pages.

Ce texte, dit Patriot Act, étend les pouvoirs des autorités en matière de surveillance et simplifie les procédures pour gagner en rapidité et efficacité. Pour la surveillance, cette loi renforce les agences de police et de renseignement. Elle permet au FBI de fouiller dans les données personnelles, les documents, les relevés bancaires, sans avoir à justifier qu’ils sont en rapport avec une enquête terroriste. Le Patriot Act donne aussi la possibilité aux forces de l’ordre de surveiller les messageries électroniques sans prévenir les intéressés, d’effectuer des écoutes téléphoniques sans autorisation préalable de la justice.

Par ailleurs la police peut mener des perquisitions sans autorisation préalable, saisir des documents et des biens sans obligation d’en informer les propriétaires.

Ce même Patriot Act a permis aussi la création du camp de Guantanamo, où des suspects peuvent être détenus sans limite et sans chef d’accusation, dans des conditions insoutenables.

Au départ, ce Patriot Act devait être une loi d’exception, d’une durée de 4 ans. Mais le Congrès l’a reconduit à plusieurs reprises jusqu’en juin 2015.

Libertés individuelles et d’expression en danger

Sous couvert de lutte contre le terrorisme et de protection des citoyens, le Patriot Act a surtout permis la mise en place d’un Etat policier aux tendances fortement liberticides pour la population. De plus en plus de voix aux Etats-Unis et dans le monde s’élèvent pour le réformer, voire même l’abroger. L’affaire Snowden a permis de révéler les dangers et dérives totalitaires de ce texte.

En France, une loi antiterroriste vient d’être votée, déjà fortement contraignante pour la population. La loi de programmation militaire adoptée avant Noël livre sans contrôle aux services de l’Etat les messageries privées de chacun, ainsi que le renforcement de la surveillance sur internet. Le rapporteur socialiste du texte, Sébastien Pietrasanta, juge qu’une « nouvelle loi antiterroriste n’est pas nécessaire ».

Le gouvernement socialiste s’appuie sur les récents événements pour pousser plus en avant sa pratique de plus en plus autoritaire du pouvoir, réprimant opposants politiques et contestataires.

Ainsi comme le font craindre les déclarations du premier ministre Manuel Valls, une vaste entreprise de retournement du sens de la mobilisation populaire contre l’islamisme est en cours pour mieux l’utiliser contre les opposants politiques. Cette répression vise aussi bien les manifestations publiques que l’expression sur Internet.

Ces deux exemples illustrent parfaitement l’utilisation à géométrie variable de la menace terroriste dont usent les autorités :

  • Interdiction par le préfet de police de la manifestation de dimanche 18 janvier contre l’islamisation de la France. En revanche, la contre-manifestation organisée par des associations antiracistes a pu être maintenue (rassemblement au cours duquel un drapeau de la chahada – profession de foi musulmane – a été déployé) ;
  • Annulation de certaines projections du film l’Apôtre jugé provocant pour la communauté musulmane sur ordre de la DGSI. En revanche, le film Qu’Allah bénisse la France ne souffre d’aucune censure.

L’association Amnesty International dénonce les atteintes à la liberté d’expression du gouvernement français et cite le cas de l’humoriste polémique Dieudonné. Adressé au gouvernement socialiste – et plus particulièrement à Christiane Taubira, un communiqué indique que « la liberté d’expression ne doit pas être réservée à certains. L’heure n’est pas à l’ouverture de procédures inspirées par des réactions à chaud, mais bien plutôt à la mise en place de mesures réfléchies qui protègent des vies et respectent les droits de tous. »

Ce communiqué cite les nombreuses procédures – au moins 69 – ouvertes en une semaine. Certains prévenus ont même été condamnés à de la prison ferme pour soi-disant apologie du terrorisme.

Alain Bauer, criminologue renommé, affirmait récemment que le Patriot Act, intrusif pour la population américaine, n’avait servi à rien dans la lutte contre le terrorisme. Le gouvernement et le Parlement devraient être les garants des libertés individuelles. Rien ne peut justifier une quelconque restriction de celles-ci. Mais en même temps, comme le disait Benjamin Franklin, « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »

Rédacteur Web