« Les extrémismes montent partout et nous sommes nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation ». Ainsi s’exprimait, le 10 mai 2016, Patrick Calvar à l’issue de son entretien auprès de la Commission de la Défense Nationale. Pour le directeur général de la Sécurité Intérieur, ces « bastions » d’ultra droite risquent de faire éclater leur courroux au prochain attentat. Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’IFOP, revient sur ce sentiment de plus en plus partagé de la montée de la guerre civile.

I. L’ombre de la guerre civile

 

  • La menace des essayistes

Les propos de Patrick Calvar ont fait couler beaucoup d’encre mais ne marquent pas pour autant le début de cette menace planant sur « les imaginaires de la société française »[1]. En témoigne les sondages opérés au lendemain du meurtre d’un couple de policiers à Magnanville en juin 2016. Si 73% des Français interrogés pensaient que des actes de représailles incontrôlés se produiraient en cas de nouvel attentat, ils étaient 81% à penser que ces actes « dégénèreraient ensuite en de violents affrontements communautaires »[2]. Certains journalistes et auteurs contribuent à souligner cette situation de tension, à l’instar de Laurent Obertone, ou d’Ivan Rioufol, qui notait dans La guerre civile qui vient[3] : « La France est en guerre. En guerre civile peut-être demain. Son ennemi est l’islam radical ». Selon l’essayiste, ce sont les « djihadistes français […] déterminés à nous humilier, à nous soumettre à l’islam » qui constituent la principale menace sur le territoire nationale.

  • Un propos à relativiser

Prenant pour modèle de comparaison les conflits qui déchirèrent l’Algérie, Jérôme Fourquet s’annonce plus mesuré. De par la structuration de ses rangs et son nombre moins élevé, le djihad français « est très en deçà de ce qu’avaient développé l’appareil politico-militaire du FLN en métropole ». De même, le directeur de département de l’IFOP s’empresse-t-il de tempérer la force de frappe de « la jeune mouvance radicale d’extrême droite » dont la « détermination à s’engager sur la voie de la violence armée n’a rien à voir avec le climat qui régnait dans les milieux activistes Algérie française ». Aussi, souligne-t-il l’impossibilité de « l’émergence de plusieurs organisations terroristes rivales internes à la société française », plaçant de fait sur un même niveau djihadistes et « groupuscules » d’extrême droite.

  •  Extrême-droite et Etat Islamique : même combat

L’Etat Islamique en a par ailleurs appelé à cibler les « extrémistes » ; une stratégie, si l’on en croit Fourquet, destinée à « accroître les tensions et pousser à l’affrontement ». Une manœuvre qui aurait porté ses fruits à la suite des attentats de Bruxelles : à la cérémonie d’hommage aux victimes, « militants nationalistes et hooligans » auraient semé le trouble, engendrant des tensions communautaires sur le territoire. Si ces « milieux d’activistes d’extrême droite radicaux ne semblent pas avoir la capacité à passer à l’action » pour l’heure, Jérôme Fourquet alarme : ces militants tendent à exacerber une situation tendue et pourraient s’en prendre à des « lieux fréquentés par les populations issues de l’immigration ou de confession musulmane ». Des attitudes qui pourraient être ensuite « copiées par le public », menace encore l’analyste.

 

II. L’état du conflit dans l’opinion

 

  • Quel regard sur l’Islam après les attentats de 2015

Pour vérifier la justesse de son analyse, Jérôme Fourquet s’interroge sur le regard que porte l’opinion sur les musulmans depuis les attentats terroristes islamiques de 2015. Premier regard peu convaincant : car si à 68%, les Français estimaient en décembre 2010 comme en 2016 que les « musulmans et les personnes d’origine musulmane n’étaient pas bien intégrés dans la société française »[4], ils restaient, entre janvier et novembre 2015, à 64.5% en moyenne persuadés « qu’il ne fallait pas faire d’amalgame, [que] les musulmans en France viva[ient] paisiblement en France et que seuls des islamistes radicaux représentent une menace »[5]. Un sentiment qui a atteint le taux record de 67% au lendemain des attentats de novembre 2015.

  • La menace des minorités résolues

La moyenne des personnes estimant que « l’Islam constitue une menace » reste cependant suffisamment élevée, à en croire Jérôme Fourquet, qui pointe du doigt que ces 28% de Français pourraient constituer « un vivier conséquent dans lequel une frange minoritaire pourrait être tentée par la violence à la suite de nouveaux attentats ». Cette proportion de personnes soulignant la dangerosité de l’islam appartient surtout à la mouvance de droite sur l’échiquier politique. Elle atteint 60% au Front National et 31% chez les Républicains, contre 19% au Parti Socialiste.

 

III. Terrorisme islamique : quelles réponses ?

 

  • La vengeance regardée avec bienveillance

Ce que semble déplorer davantage encore Jérôme Fourquet est l’absence de sévérité des Français à l’égard de ceux qui auraient l’audace de mener quelque action de représailles contre ces actes terroristes. Au lendemain de la sombre affaire de Magnanville, durant laquelle un couple de policiers fut sauvagement assassiné, les Français ne semblaient pas entièrement défavorables à une action de répression en retour. Au détour d’une enquête[6], 10% des Français approuvaient une action de représailles, 39% admettaient la comprendre – sans pour autant l’approuver, tandis que 51% des interrogés les condamnaient. Pour Jérôme Fourquet, le constat est sans appel : « Ces chiffres démontrent clairement qu’un potentiel de confrontation existe aujourd’hui dans la société française et que la série d’attentats qui a visé notre pays a ébranlé et fissuré en profondeur le rempart républicain », s’insurgeait-il.

De même, interrogé sur une potentielle nouvelle série d’attentats, les Français se montreraient particulièrement peu troublés par des attaques éventuelles à l’encontre des lieux de cultes, commerces ou de quartiers fréquentés par des musulmans qui ensuivraient les actes terroristes. « 36% des cadres supérieurs et professions libérales ; 39% des titulaires d’un diplôme BAC+2 ; 57% des catholiques pratiquants ne condamneraient pas sans ambages des lesdites attaques », s’étrangle encore le membre de l’IFOP.

  • Les minorités menaçantes

En dépit du petit nombre de la population approuvant de telles conduites, Jérôme Fourquet juge que la France n’est pas à l’abri des répressions de ces minorités agissantes. Correspondant à près de 4.5 millions de personnes, les 10% approuvant les actes de « vengeance » pourraient en effet se mobiliser. « Si l’on retient l’hypothèse selon laquelle ne serait-ce que 1% des personnes qui approuveraient ce type d’opérations de représailles aveugles y participent nous arrivons au chiffre de 45 000 individus, chiffre qui donne une idée de l’ampleur des violences qui pourraient alors se produire un peu partout sur le territoire », explique l’analyste. C’était sans compter sur l’observation des faits suite aux attentats de Saint-Etienne du Rouvray et de Nice[7], qui ne déclenchèrent pas d’actions de représailles…

  • Malgré la menace : le nombre d’actes antimusulmans recule

Véritable numéro d’équilibriste, le constat de Jérôme Fourquet est invalidé par ces faits ; le directeur du département de l’IFOP le souligne lui-même : le nombre de « ripostes organisées », la fréquence « des passages à l’acte » est minime, à mesure que les attentats se multiplient. Avec 429 actes recensés à leur encontre en 2015, un pic « antimusulman » avait été atteint, estime l’analyste – qui ne s’embarrasse guère, à titre de comparaison, des actes antichrétiens bien plus nombreux. Cette croissance éphémère est consécutive aux attentats terroristes ; ce sont surtout les attentats de janvier qui ont engendré ce type de répercussions, ceux de novembre « qui ont fait beaucoup plus de victimes, ont entraîné en réactions moins d’actes antimusulmans qu’en janvier » pointe l’auteur.

Conclusion

Fourquet admet par conséquent que les passages à l’acte ne suivent pas la menace. C’est « comme si […] la société française devenait plus résiliente et qu’après chaque attaque terroriste, le nombre de personnes décidées à commettre des actes de représailles aveugles et passait à l’acte diminuait », conclut Jérôme Fourquet. A la suite de sa démonstration, « l’expert » de l’IFOP reste cependant convaincu que la France « n’est pas à l’abri d’une explosion de violence ».

 

Source : Revue politique et parlementaire, janvier-mars 2017, p.79.87, Vers la Guerre Civile ? par Jérôme Fourquet.

[1] Revue Politique et Parlementaire, dossier, p.79 . Jérôme Fourquet.

[2] Sondage IFOP, pour Atlantico, réalisé par Internet du 28 juin au 1er juillet 2016. Sur un échantillon de 1004 personnes.

[3] Ivan Rioufol, La guerre civile qui vient, Pierre Guillaume de Roux, 2016.

[4] Sondage Ifop pour le Figaro, réalité sur Internet du 17 au 18 avril 2016, sur un échantillon de 1008 personnes.

[5] Contre une moyenne de 30% environ à juger que les L’Islam représente une menace. Sondage pour Atlantico, réalisé par internet du 20 au 23 novembre 2015 sur un échantillon de 1002 personnes.

[6] Enquête réalisée par internet du 28 juin au 1er juillet 2016 sur un échantillon national représentatif de 1004 personnes.

[7] Seuls 9 actes et 29 menaces recensés en juillet, 8 actes et 15 menaces en août.

aloysia biessy