Dans le deuxième opus de Calais, miroir de la crise migratoire européenne, la Fondation pour l’Innovation Politique revient sur la progression des scores électoraux du Front National dans la ville de Calais. Depuis la forte pression migratoire qu’a subi la ville, « la question de la délinquance, bien réelle, des migrants arrivés » est devenu un thème de campagne électorale. A l’issue du premier tour des régionales de 2015, cette collectivité de 50 000 électeurs a plébiscité le Front National, lui offrant 49,1 % des suffrages – une progression de 17.4 points par rapport à son score aux européennes de 2014, soit 6950 suffrages supplémentaires. Le traitement médiatique de la crise n’a fait qu’entériner le sentiment de perte de contrôle des autorités dans la situation.

  1. A l’origine du plébiscite du Front National à Calais

 

  1. Calais, un cas exceptionnel

La montée spectaculaire du Front National à Calais ne se retrouve nulle part ailleurs en France. Si le parti a gagné de la même manière plus de 15 points du premier au second tour, les 1212 communes dans lesquelles une telle progression s’est illustrée ne comptaient pas plus de 1000 électeurs. Seules 6 communes[1] sur les 1212 disposent en effet d’un nombre d’électeurs suffisant pour que cette croissance ait été véritablement significative, si l’on en croit la Fondation pour l’Innovation Politique. En effet, sur les 38 communes comprenant entre 40 000 et 60 000 inscrits, seules six d’entre elles ont vu le FN progresser entre les deux élections – à hauteur de 5 points supplémentaires. Avec ses 51 859 électeurs, Calais reste donc un cas assez unique de cette progression, dont le nombre de voix supplémentaires (6 000) ne s’est répété que dans quatre communes. Parmi ces dernières, on compte Marseille (+ 24 179 voix) et Nice (+ 9 939 voix), deux villes de la région PACA, où le Front National est inscrit depuis de longues années, comptant une réserve de voix bien plus importante que dans la ville de Calais. Par ailleurs, la ville de Calais n’était pas historiquement un bataillon du Front National, qui est passé de 11.4% des suffrages à la présidentielle 1988 à 31.8% aux Européennes, jusqu’au pic du premier tour des régionales 2015, totalisant 49.1% des voix.

Ce cas a toutefois connu un précédent, avec la ville de Sangatte. Après la création du centre pour immigrés clandestins dans la collectivité, en 1999, les votes ont fait un véritable bond en faveur du parti – à 22,9 % aux élections présidentielles de 2002, un an avant la fermeture du site par Nicolas Sarkozy. Entre 2014 et 2015, Calais comme Sangate ont clairement plébiscité le Front National, avec respectivement 31.8% et 33.2% (européennes 2014) et 49.1% et 40% (élections régionales 2015).

  1. Face aux dénis, la montée du Front National

Un double déni s’opère de la part du camp dit « pro-migrants ». Le premier concerne le silence fait sur la relation étroite entre immigrés et délinquance – ou tout du moins « une partie a priori très minoritaire d’entre eux », soulignent les rapporteurs. Ainsi, « la délinquance de droit commun (vols, vols avec violence, dégradations, agressions sexuelles, tentatives de viol) mettant en cause des « migrants » se résumait à une moyenne d’un à deux faits par mois »[2]. Pour juillet, août et septembre 2014, le syndicat de Police Unité SGP-Police-Fo notait que ces faits de délinquance s’élevaient à « 80, soit près de 30 par mois ». Une assertion niée par les représentants associatifs en faveur de l’installation migratoire, qui acceptaient cependant d’admettre dans le même temps que la multiplication du nombre de « migrants » entre le printemps et l’automne 2014 – à l’heure où cette population se multiplie par quatre, engendraient des tensions[3]. Cette montée de la délinquance a engendré un rejet massif de la part des Calaisiens ; les rapporteurs soulignent par ailleurs que le discours de l’extrême-droite, diffusant une image de violeur, voleur, … du « migrant » a engendré l’émergence d’une figure « hyper anxiogène ». Un point de vue contre lequel les militants associatifs pro-migrants luttent, soulignant que les premières violences proférées le sont à l’encontre des immigrés clandestins. C’est à ce titre que les No Borders ont déposé à Jacques Toubon, défenseur des droits, un rapport sur les violences policières à leur encontre.

Le second déni opéré par les « pro-migrants » consiste en le fait de se voiler la face concernant la relation entre progression du Front National et fait migratoire. Comme le soulignent les rapporteurs, le « catéchisme antiraciste » proféré par certains militants semble simplificateur. Ainsi la Fondation pour l’Innovation Politique de dénoncer la limite du discours des No Borders. Pour ceux-là, la progression des suffrages en faveur de ce parti ne serait due qu’à l’ignorance : car en écartant les « migrants » des centres villes, les liens qu’ils entretenaient avec la population calaisienne se seront brisés. Et la population locale, victime de leur évincement, se serait donc laissé aller à l’ignorance, offrant un carrefour aux électeurs frontistes. Soulignant que le lien entre la « présence immigrée dans certains quartiers et augmentation de la délinquance à partir de 1970 » a été longtemps occulté et ne saurait se départir d’une analyse de la montée du Front National dans ces villes, la Fondation pour l’Innovation Politique ne manque pas de justifier longuement son propos[4].

  1. Immigration et délinquance : un lien indéfectible ?

 

  1. Un recensement complexe

Parler de la liaison entre immigration et délinquance est complexe, dans la mesure où il est difficile de se procurer les chiffres exacts de l’immigration. A l’échelle de la Justice, «le parquet ne dispose pas de statistiques sur les migrants », confiait ainsi Nathalie Bany, procureur adjoint de Boulogne-sur-Mer. « On peut obtenir l’information du pays d’origine d’une personne mais cela ne renseigne pas sur son statut ». La comptabilisation des actes de délinquance proférés par des « migrants » s’appuie donc généralement sur la surreprésentation de certaines nationalités étrangères présentes au sein de la communauté de primo-arrivants, sans que l’on puisse cependant être tout à fait certain de son statut.

C’est surtout parce que les plaintes sont déposées contre X qu’il semble difficile aux rapporteurs de souligner la relation de cause à effet entre immigration et délinquance. Si les autorités présentes sur place restent prudentes, c’est surtout parce qu’elles ne peuvent faire état d’une telle liaison qu’en cas de flagrant délit et ne peuvent s’appuyer sur les seules témoignages de la population locale. Il est notamment fait état de cette problématique pour les plaignants venant déposer plainte contre X pour les cas d’agressions sexuelles : si ceux-là décrivent leur agresseur comme un migrant, les forces de l’ordre ne peuvent retenir le motif contre les primo-arrivants sans preuve conséquente.

Quoiqu’il en soit, on ne peut nier « que le démantèlement des squats et le déplacement des « migrants » sur la lande ont participé à réduire cette problématique » de délinquance, si l’on en croit la Préfecture du Pas-de-Calais. C’est à ce dessein que Calais a reçu un renfort d’un équipage de la BAC au début de l’année 2015, dont la première mission était de lutter contre les agressions sexuelles, en forte hausse depuis décembre 2014.

  • Chiffres à l’appui, hausse des vols violents et des agressions sexuelles

Le recensement officiel, en revanche, fait clairement état du changement du paysage sécuritaire depuis l’arrivée des immigrés clandestins à Calais. Pour l’année 2014, les faits de délinquance constatés bondissent à 3119 faits, soit une progression de 26.9% par rapport à l’année précédente[5]. En comparant les chiffres des autres circonscriptions du Pas-de-Calais, les rapporteurs ne trouvent pas de corrélation aussi révélatrice ailleurs sur le territoire.

La Fondation pour l’Innovation Politique souligne que les « besoins d’argent […] pour financer le passage en Angleterre » tout comme « la présence de réseaux mafieux forçant le passage à l’acte délictueux » tend à expliquer la hausse de ceux-ci. Si Médecins sans frontières oriente désormais son activité sur la prévention de la violence, force est de constater que depuis l’arrivée des « migrants » à Calais, les vols avec violence « ont véritablement explosé à Calais en 2014 ». De même, la hausse des faits relatifs à la violence sexuelle, notamment à l’encontre des mineurs, a sensiblement augmenté depuis l’arrivée des « migrants », passant de 80 en 2013 à 114 en 2015. Les autorités ont d’ailleurs été contraintes de mettre en place des navettes entre la gare et le lycée.

  • Calais : l’état de siège

 

  1. Calais sous tension

Avec huit compagnies de CRS, trois escadrons de gendarmerie mobiles auxquels s’ajoutent les effectifs réguliers, on comptait près d’un millier de policiers à Calais. Une présence tout à fait exclusive pour une ville de si petite taille, qu’expliquent les attaques « toutes les nuits […] de centaines d’assaillants s’en prenant aux policiers » à coups de pylônes et de troncs d’arbres[6]. Dans cette ambiance de « guérilla urbaine », la police répond à grand renfort de « 100 à 200 grenades lacrymogènes » chaque nuit. Des installations (murs de quatre mètre de haut, grillage sur plusieurs dizaines de kilomètres,…) prodigués par les services publics comme privés doivent pallier à cette situation désastreuse. Si le Maire de la ville a souligné au gouvernement la nécessité d’une intervention de l’armée à Calais, c’est plutôt le marché de la sécurité privée qui s’est épanouie durant les attaques de l’été.

La tension est également issue des rixes éclatant entre No Borders / militants pro-migrants et groupes antifascistes, faisant face à différents collectifs classés par la Fondation pour l’Innovation Politique à l’extrême droite. Les premiers prônent « la solidarité internationalistes vis-à-vis des migrants » ainsi que « la mise à bas des frontières et des structures d’un Etat perçu comme policier et raciste »[7]. Les seconds luttent contre les squats et la présence des « migrants » ; on y dénote des militants dits identitaires, des collectifs orientés (Sauvons Calais) ou apolitiques (Les Calaisiens en colère). Ce dernier est à l’origine de l’organisation de rondes nocturnes, visant à pallier à « l’insécurité due aux migrants ». Selon les rapporteurs, Calais constitue donc un « haut lieu d’activité de l’extrême-droite française ».

  1. Calais sous la « poussée frontiste »

C’est dans ce cadre, expliquent les rapporteurs, que s’exerce la poussée frontiste. La montée des suffrages à son profit s’est opérée par la hausse de votants (+17.8 points à Calais aux régionales 2015 par rapport aux européennes 2014) au détriment du score de Front de Gauche et PCF, ses scores les plus élevés étant atteints dans les périphéries les plus pauvres de la collectivité. Des quartiers dans lesquels s’est installée une véritable « misère blanche », redoutant que les immigrés illégaux reçoivent les aides dont ils devraient normalement bénéficier en priorité.

 

Conclusion : éviter la répétition

Selon la Fondation pour l’Innovation Politique, les pouvoirs publics redouteraient la reformation de nouveaux bidonvilles dans le type de celui de Calais. Ainsi , à Paris, c’est presque quotidiennement que le Préfecture de Police s’est adonné à 27 évacuations de campements de fortune et a tenté d’éviter la stagnation de « migrants » alors même qu’on comptait dans la capitale entre 50 et 100 nouvelles arrivées quotidiennes. De tels foyers concentrés pourraient trouver un écho dans la zone Menton-Vintimille. Dans cette dernière ville, les autorités ont pris l’initiative de créer un camp d’accueil à la périphérie de la ville pour éviter une concentration trop importante au niveau de la gare, où s’était installé un camp de fortune. Mais avec l’appui des No Borders, les afflux massifs d’immigrés clandestins au niveau de cette zone clef (à la frontière franco-italienne) risquent de s’intensifier.

Face à cette situation tendue, « quel sera le choix des électeurs ? », s’interrogent les rapporteurs de la Fondation. Car si l’on en croit un sondage[8] paru en septembre 2016, la question migratoire sera au cœur de l’enjeu électoral[9]. 50% des Français interrogés ont souligné que ce thème allait « beaucoup compter » dans leur choix…

 

Nb. Cette note fait la synthèse du deuxième rapport Calais : miroir français de la crise migratoire européenne, Fondation pour l’Innovation Politique, Jérôme Fourquet, Sylvain Manternach, mars 2017.

[1] Calais (62), avec 51859 nombres d’inscrits ; Le Cannet-les-Maures (83), avec 3188 inscrits ; Brienne-le-Château (10), avec 2037 électeurs ; Oeting (57) avec 1882 inscrits ; Boulogne (52) avec 1343 inscrits et Diebling (87), avec 1383 inscrits.

[2] La Voix du Nord, 13.10.2014, Migrants à Calais : les chiffres de la délinquance.

[3] Voir Jean-Claude Lenois, président de Salam.

[4] « Lier délinquance des migrants et votre Front national revient-il à justifier, voire à excuser ce vote, faisant du vote pour ce parti une sorte de réflexe d’autodéfense ». Voir p.16.

[5] Fichier Etat 4001, qui recense les faits constatés par la police et les gendarmes. Des chiffres non représentatifs puisqu’ils ne figurent que les faits répertoriés par les forces de l’ordre.

[6] Natacha Bouchart, Le Figaro, 12.08.2016.

[7] Déclaration des No Border sur leurs réseaux sociaux.

[8] Sondage Ifop par Internet pour Midi Libre et la Dépêche du Midi, 20-22.09.2016, réalisé auprès de 1 000 personnes.

[9] Après la lutte contre le terrorisme (64%) et la lutte contre le chômage (63%).

aloysia biessy