Après les vagues migratoires introduites par l’ouverture du tunnel sous la Manche dans les années 1990, Calais a assisté à l’arrivée de réfugiés kosovars, Afghans, Iraniens, Soudanais, Erythréens,… Une première « jungle » s’est formée dans la ville, démantelée en 2009, à laquelle a succédé la « nouvelle jungle » de 2015. La Fondation pour l’Innovation politique revient sur les faits marquants de cette dernière vague migratoire dans une ville qui est devenue le symbole de la crise migratoire européenne actuelle, dont les péripéties ont « participé du phénomène de rejet des migrants par une partie significative des citoyens français ».

  • La crise euro-méditerranéenne

 

Le mouvement des déplacements. Générée par un afflux d’immigrés issus des côtes libyennes (sud) et des côtes turques (est), la crise migratoire qui sévit en Europe a entraîné des déplacements de populations souhaitant accéder à l’espace Schengen. Conséquences des révolutions arabes, ces vagues migratoires ont entraîné des arrivées massives en Italie, en Grèce ou en Bulgarie du Nord, véritables portes d’entrée à l’espace de libre circulation de l’Union Européenne. Ces traversées ne sont pas sans risque, souligne la Fondation. En 2015, 3 771 « migrants » y ont perdu la vie, contre 500 en 2012[1]. Un rapport qu’il convient de mettre en regard avec la multiplication des traversées à partir de 2013 ; si le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés décomptait 22 439 traversées annuelles des « migrants » en Méditerranées, il en a dénombré 1 015 078 en 2015 – presque un million de plus !

Ce mouvement géographique s’accompagne d’une tendance géopolitique, où la crise migratoire devient une représentation patente de deux mondes qui s’affrontent : l’Occident d’une part, le monde musulman de l’autre. Ainsi, en mars 2016, « 80% de nos concitoyens partageaient l’idée selon laquelle « parmi les très nombreux migrants qui arrivent actuellement en Europe se trouve également des terroristes potentiels »[2]. Un sentiment qui explique notamment la montée des « mouvements nationaux populistes » européens, dont les partisans croient éminemment entre la dichotomie Occident / Islam, à « l’invasion de l’Europe passoire » par « diverses populations barbares traversant la Méditerranée et mettant en péril les cultures européennes »[3].

 

Calais : les raisons de la concentration de la crise. Si à Calais, l’afflux de réfugiés n’est pas nouveau[4], les derniers évènements ont engendré une visibilité médiatique de la ville. Les immigrés qui souhaitent rejoindre la ville s’y massent pour rejoindre la Grande-Bretagne (grâce au tunnel sous la Manche et le port ferries) afin d’y demander asile et/ou d’y travailler clandestinement pour « rembourser leur passage et/ ou financer celui de leur famille ». D’autres ports littoraux de la Mer du Nord existent en ce sens (Dieppe, Dunkerque, Ouistreham, Cherbourg, Zeebrugge en Belgique). De quelques jours à la fin des années 90, le temps d’attente estimé pour le passage est passé à plusieurs mois aujourd’hui. Mais ce ne seraient pas tant les infrastructures qui viendraient à intimider les « migrants » mais bien « la frontière administrative et policière entre territoires britannique et français », soulignent les rapporteurs.

Participant à la concentration massive d’immigrés clandestins à Calais, l’externalisation des frontières britanniques a joué un rôle particulièrement important dans cette conjoncture. La ratification de l’accord de Sangatte (25.11.1991) a engendré la mise en place par chacun des deux Etats de contrôles douaniers sur le territoire de l’Etat partenaire. En somme, la frontière britannique s’est matérialisée sur le sol français, notamment par l’intermédiaire d’un poste frontière au niveau du port ferries et un autre à Coquelles-Fréthun au niveau du terminal d’Eurotunnel[5].

 

  • Calais : à l’origine de la jungle

 

Des tensions politiques depuis 2013

 

Pour la Fondation, les tensions politiques attenantes à Calais surviennent dès l’automne 2013. Le Maire de la ville, Natacha Bouchart (LR) ne parvient pas à se délester des collectifs pro-migrants, dits « No borders » et en appellent à alerter les autorités lorsque « No Borders ou migrants s’implantent illégalement dans une maison ». Cette mesure de sécurité suscite alors l’ire des partis de gauche, notamment du Parti Communiste qui souligne la responsabilité de l’élue dans la création du collectif « Sauvons Calais » créé quelques semaines plus tard. Pour le communiste Jean-Jacques Tricquet (secrétaire de la section du PCF de Calais), son rappel à l’ordre constituerait un insupportable appel à la délation. Pour les No Borders, la Mairie est coupable d’avoir mis en place une véritable « traque des migrants et des militants pour repérer leurs lieux de vie » et les « extrémistes et riverains manipulés » menacent la sécurité. Quelques semaines plus tard, « militants identitaires de Sauvons Calais et No Borders » s’opposeront autour d’un squat voisin dans la commune de Coulogne. Les No Borders finiront par quitter les lieux.

 

  • Intensification de la situation en 2014

 

En 2014, la situation s’intensifie, à l’aune des festivités de l’été. Expulsions des Africains de l’Est du quai de la Batellerie (28 mai), évacuation des campements No Borders de la Rue Lamy,… : les « migrants » protestent et occupent le lieu de distribution des repas. En juillet, les forces de l’ordre procèdent à l’évacuation de 600 migrants pendant la journée ; 200 de plus sont envoyés dans des centres de rétention, les autres sont « relâchés dans la nature, loin de Calais ». La Fondation souligne que les « migrants » retenus dans les commissariats/ en centres de rétention n’y resteront pas longtemps. « La France ne peut les expulser », souligne-t-elle en indiquant qu’ils bénéficient de décisions de justice qui « cassent les procédures d’expulsion » ou de renoncement, de la part de la Préfecture du Pas-de-Calais de renouveler leur incarcération. Résultat : en août 2014, Médecins du Monde dénombre près de 1200 « migrants » à Calais, contre 200 à l’automne 2013, et 500 en mai 2014. Les conséquences sur le secteur calaisien ne se font pas attendre : « à partir du milieu de l’année 2014, les conséquences de l’afflux migratoire sont palpables pour un public bien plus large que les seuls militants d’extrême droite de Sauvons Calais ». Parallèlement, la Police alerte les autorités gouvernementales sur leur manque de moyens face à l’afflux migratoire auquel il se confronte.

 

A la rentrée, le Maire de la ville tente la création d’un centre d’accueil pour « migrants » de 400 places à la périphérie de Calais, dont l’Etat devra financer la gestion mais dont la commune fournira les locaux. L’enjeu ? « Vider à 80% le phénomène de la présence migratoire dans la ville et soulager les Calaisiens qui ont droit à un peu de sérénité », souligne le Maire Les Républicains. Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, se révèle opposé à cette proposition, alors même que cette suggestion ne présentait que la conséquence logique de la venue de Manuel Valls à Calais à la fin de l’année 2013[6]. L’accueil qui sera réservée à la proposition de Nathalie Bouchart connaître une portée malencontreuse chez les journalistes comme chez les militants pro-migrants, qui n’y perçoivent qu’une volonté de démantèlement des squats.

 

 

  • 2015 : la perte de contrôle

Le dispositif périphérique proposé par le Maire ne sera opérationnel à 100% que le 13 avril 2015, bien que les premiers y aient été servis dès le 15 janvier par des associations mandatées par l’Etat comme La Vie active – accompagnée des bénévoles de l’Auberge des Migrants et de Salam. Les « migrants » qui ne peuvent y bénéficier d’un hébergement se voient « tolérés » à proximité du Centre, sur un terrain marécageux. On les y invite d’ailleurs très fortement, la sous-préfecture brandissant la menace d’évacuations prochaines des squats dans le centre-ville. C’est alors que commence l’établissement de ce qu’on appellera bientôt « la Jungle de Calais ». Les derniers squats seront quant à eux bientôt totalement démantelés, les derniers militants No Borders chassés et les « migrants » déjà partis vers la zone marécageuse.

 

Parallèlement, la crise migratoire européenne s’est intensifiée : en cette année 2015, 4.7 fois plus « de migrants » ont traversé la Méditerranée par rapport à 2014 – soit 17 fois plus qu’en 2013. Avec des pics mensuels étourdissants (33 478 traversées en août ; 33 944 en septembre), les traversées de la Méditerranée atteignent un point de non-retour en octobre 2015, avec 221 374 traversées effectuées. Dans le Calaisis, « on passe d’environ 2000 migrants en février-mars, à 3 000 en juin pour atteindre un pic de 6 000 migrants en 2015», soulignent les rapporteurs. Une telle concentration constitue un record sur l’ensemble du territoire européen, à l’exception de quelques îles grecques.

 

Bientôt, des conflits entre les « migrants » se déclenchent : dans la nuit du 30 mai au 1er juin, une rixe oppose entre 300 et 400 « migrants » Soudanais et Erythréens. Pour contrevenir à la dangerosité des rixes, certains « migrants » tentent de s’introduire dans le tunnel sous la Manche et mettent en œuvre différentes stratégies visant à contrevenir à la surveillance policière. En juin 2015, il est fait état d’un « système régi et organisé par les passeurs » jalonné « d’attaques massives » durant lesquelles « des groupes de 80 à 100 personnes prennent d’assaut certains points et forcent le passage ». Les nombreux assauts et conflits de ce genre qui surviendront ensuite incitent la Fondation à penser que « cette longue liste d’évènements a contribué à inscrire dans l’imaginaire collectif la ville de Calais comme la nouvelle référence en matière de perte de contrôle par les pouvoirs publics face aux flux migratoires ». De leur côté, les associations réclament l’aménagement de la jungle.

 

Face à ce que la Fondation souligne avoir été un véritable «été meurtrier » (ndlr. du fait de la mort de 15 décès durant les mois de juin à août 2015), Bernard Cazeneuve annonce une série de mesure pour reprendre le contrôle de la jungle et sa périphérie. Il proposera trois mesures : le renforcement des frontières, dans un premier temps, s’accompagnera de la venue des forces de l’ordre – elles atteindront, avec les effectifs déjà présents, le chiffre de 1600 personnes. La réalisation d’un centre d’hébergement en dur de 1500 places sera la deuxième mesure du Ministre de l’Intérieur, qui doit réduire le nombre de « migrants » à Calais et en aucun cas constituer « une solution d’accueil à long-terme ». La troisième mesure viendra appuyer cette déclaration : il s’agira pour le gouvernement d’ouvrir partout en France des centres d’accueil et d’orientation (ou « centres de répit ») qui doivent permettre aux « migrants qui acceptent de renoncer à passer en Angleterre […] de se reposer, de recevoir une information concernant l’asile en France par les services de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ». En cas de réponse positive, l’intéressé est redirigé vers des centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA).

 

Du côté des associations, l’annonce passe mal, la prise d’empreinte palmaire effectuée à l’entrée du centre d’accueil provisoire étant perçu comme une menace du fait du règlement Dublin III – qui stipule que les « migrants » peuvent être renvoyés dans le pays par lequel ils ont pénétré dans l’espace Schengen, procédure accompagnée de la prise d’empreinte digitale. Le bilan dressé satisfera quoiqu’il en soit le gouvernement, qui aura, au 27 octobre 2015, fait rejoindre à 5700 migrants près de 184 CAO[7] dans toute la France. Selon la Préfecture du Pas-de-Calais, le nombre de « migrants » présents à Calais n’atteignait « plus que » 3 500 en mars 2016, contre 6000 en octobre 2015. Le 25 février 2016, le tribunal administratif de Lille se prononce en faveur du démantèlement de la « Jungle de Calais ».

 

Conclusion

 

La Fondation pour l’Innovation politique souligne le désastre de la politique menée par le gouvernement. Le démantèlement partiel de la jungle n’aura servi à rien : les autorités se retrouvent confrontées à une nouvelle hausse de réfugiés. Et si la Préfecture annonçait la présence de 6 900 « migrants » en août 2016, les associations font état de chiffres beaucoup plus alarmants (10 188 au 12 septembre si l’on en croit L’Auberge des Migrants et Help Refugees). Le mouvement de retour des réfugiés s’est vu confirmé à la fin du mois de décembre 2016, avec l’afflux de mineurs isolés et de primo-arrivants.

Source : Calais : miroir français de la crise migratoire européenne (rapport ½), Jérôme Fourquet, Sylvain Manternach, mars 2017.

[1] Chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Voir www.data.unchr.org/mediterranean/regional.php

[2] Sondage Ifop pour la Fondation Jean Jaurès réalisé par internet du 8 au 10 mars 2016 sur un échnatillon de 1005 personnes.

[3] Calais : miroir français de la crise migratoire européenne, Jérôme Fourquet, Sylvain Manternach, mars 2017, (1), p.11.

[4] Les premières vagues d’afflux d’immigrés clandestins se dénotent dès les années 1990.

[5] Révisé par l’accord du Touquet signé en Février 2003.

[6] Le projet, plus tôt nommé « Maison des migrants », s’était vu proposé un cahier des charges présenté à la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement par le Préfet du Pas-de-Calais Denis Robin.

[7] Entre 15% et 20% des « migrants » quittent les CAO sans donner de nouvelles, tandis que 80% à 85% entament ou ont entamé une demande d’asile d’après la Préfecture.

aloysia biessy