« Libération sexuelle » brandie en étendard, combats sémantiques abrupts niant les réelles menaces à l’encontre des femmes, presse abêtissante : tant de phénomènes dépassés qui incitent Gabrielle Cluzel, rédacteur-en-chef de Boulevard Voltaire, à penser que le féminisme est en proie à une perte de vitesse. L’auteur de « Adieu Simone ! » (éditions Le Centurion), a répondu aux questions de France Renaissance.

 France Renaissance. Vous estimez le combat mené par les féministes actuelles plutôt dérisoire : bataille sémantique, lutte pour une parité annihilant toute méritocratie, annihilation des « jouets sexistes » (chapitre 2) : telles semblent être selon vous les priorités des collectifs. Que risque d’engendrer cette attitude ? 

Gabriel Cluzel. Ces combats dérisoires font rire, évidemment, mais au-delà du fait qu’ils ridiculisent le féminisme et à travers lui celles qu’il est censé représenter – les femmes, ils détournent l’attention sur les vrais et graves dangers. Les féministes grattent les chiures de mouche sur la fenêtre quand la maison elle-même est en train de s’écrouler. Évidemment, ce ne sont pas les « e » omis à la fin des mots ou les boîtes de Playmobil rose qui menacent la femme…Qui soutiendrait une telle ineptie ? Parlons plutôt du laxisme judiciaire façon réforme Taubira – qu’aucune féministe, en soubrette docile de la gauche, n’a dénoncé – qui nuit en premier lieu à la femme. Vous avez remarqué, il n’y a pas de féminin au mot violeur ? Curieusement ce sont toujours les gros baraqués qui agressent les jeunes filles graciles et jamais l’inverse. Ce retour à une société où règne la loi du plus fort empêche la femme de s’épanouir, évidemment. L’égalité entre hommes et femmes est intellectuelle. Aucune féministe n’a jamais demandé la mixité sur les rings de boxe car évidemment les femmes en sortiraient systématiquement perdantes. Seul un climat de sécurité peut combler cette inégalité de fait. Ce n’est pas vers cela que nous allons actuellement, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais les féministes gardent un silence coupable.

 

France Renaissance. Sur la presse féminine (1), vous semblez indiquez que son contenu est essentiellement estampillé d’un « joug » socialiste. Le « secret de fabrication de cette mixture pré mâchée masquant sa vacuité par un idiome de précieuse ridicule tombée dans le pudding appartient évidemment à la gauche, dont le mantra idéologique imprègne chaque page ». Sont-ce vraiment les seuls coupables de l’inanité du contenu de la presse destinée aux femmes ? 

Gabriel Cluzel. Comment les féministes peuvent-elle tolérer une presse aussi bébête et avilissante, aussi sexiste et sexuée, (alors qu’elles réclament la mixité un peu partout, pourquoi conserver une presse pour les femmes ?), maniant des néologismes improbables, fait de mots valises vaguement anglo-saxons et droit sortis de « brainstormings » d’agences de pub, sinon parce que cette presse, que toutes les femmes lisent – ne serait-ce que dans les salles d’attente – est un formidable canal de transmission de la doxa de gauche ? Car cette presse est parfaitement univoque, c’est ce qui la rend du reste terriblement insultante pour les femmes : celles-ci ne sauraient donc débattre que de la texture des rouge-à-lèvres mais d’aucun sujet de fond ? Il faudrait leur livrer chaque semaine un prêt-à-penser comme on leur vend le prêt-à-porter ?

Mais la gauche n’est pas seule coupable, vous avez raison. La droite l’est aussi, à deux titres.

Coupable par négligence : on parle souvent de ce second Yalta, par lequel la droite aurait cédé la culture à la gauche pour se réserver l’économie. Il y a eu aussi un troisième Yalta, celui de la presse, laissant à la gauche le droit de monopoliser la presse féminine supposée mineure et futile… la droite préférant se concentrer sur les sujets sérieux. Grave erreur. Parce qu’elle est futile, on baisse la garde, on la pense inoffensive. Parce que son contenu est léger, il est accessible à tous. La perméabilité à la presse féminine est énorme.

Coupable par complicité : le libéralisme marchand dit de droite s’accommode assez bien de tout cela car il trouve son profit dans cette presse féminine qui, une page sur deux, offre de la publicité, force à renouveler à un rythme effréné sa garde-robe, son style, ses cosmétiques… La presse féminine est le symbole parfait de l’union du libertarisme dit de gauche et du libéralisme dit de droite qui, tous les deux, veulent faire de la femme un objet : objet sexuel pour les uns, carte bleue pour les autres !

France Renaissance. Apogée du combat féministe, la libération sexuelle aurait selon vous entraîné une sorte d’aseptisation des rapports charnels, une utilisation forcenée de la pilule, un recours à l’avortement dramatique. Quels sont les arguments employés pour défendre de tels postulats ? Cette « libération » connaît-elle une baisse de vitesse ? Après tout, Elle titrant en 2010 : « Marre de la pilule : elles plaquent leur plaquette » (p.56) pourrait constituer un signe d’essoufflement ? 

Gabriel Cluzel. La libération sexuelle, en dérégulant les rapports homme-femme, en en écrasant les étapes intermédiaires (« la cour », comme l’on disait, est réduite à sa plus simple expression), s’est calquée sur un mode de fonctionnement « direct » très masculin… Pas féminin. Et elle a fait, en corollaire, de la fécondité – qui constitue pour la femme sa supériorité symbolique (« on se souvient de la chanson de Renaud : « j’aurai beau être PD comme un phoque, je ne serai jamais en cloque »), quand l’homme, on l’a dit, bénéficie de la supériorité physique – non plus un avantage mais une maladie chronique, comme l’asthme ou le diabète, qu’il faut traiter comme telle, avec ce  « médicament » qu’est la pilule et qui comporte des risques sanitaires que plus personne ne conteste.

Tous les traitements comportent des risques, me dira-t-on, mais que l’on accepte de prendre parce que pour le malade, le bénéfice est supérieur au risque. Sauf que la femme n’est pas « malade » de sa fécondité !

En amont, pour permettre cette libération sexuelle, on fait la promotion de la contraception et en aval celle de l’IVG. En en faisant un droit absolu, en supprimant notion de détresse – ce qui à l’échelle « macro » est mortifère pour la femme : plus besoin de se justifier si l’on veut avorter simplement parce que l’on attend une fille. Cela favorise les féminicides, qui arrivent aussi, à la faveur de l’immigration, en Europe – et en supprimant le délai de réflexion, qui à l’échelle « micro », infantilise la femme en la poussant à agir de façon impulsive… Ce qui est le propre de l’immaturité.

Bien sûr, cette « libération » connaît une perte de vitesse… car ses incohérences sont flagrantes. Comment, par exemple, à l’époque du « tout écologie », continuer à faire ingérer aux femmes des hormones au long cours ?

France Renaissance. Sur le travail de la femme, vous faites le procès des promotrices d’une carrière individuelle au détriment de la vie de famille, prenant l’exemple de la vitrification des ovocytes proposée par des technofirmes. Sorte de dictat : « un enfant si mon patron veut, quand mon patron veut » (p.82). La dialectique féministe est-elle complice / au service d’un libéralisme débridé ? 

Gabriel Cluzel. La réforme du congé parental par Najat Vallaud-Belkacem est à cet égard emblématique. Jusque-là fixé à une durée de 3 ans, pris indifféremment par le père, la mère ou partagé entre les deux, il laissait « le choix ».

Dans leur optique de « libération forcée » – oxymore faisant en somme pendant à celui de « servitude volontaire », cela  ne pouvait plus durer car dans les faits, c’était surtout les mères qui prenaient ce congé. Désormais, six mois doivent – et non plus peuvent – être pris par les pères. Ce qui en réalité est une conception de la justice façon Salomon : puisqu’il n’y a pas de raison qu’une seule carrière soit fragilisée, fragilisons donc les deux ! Qu’une mère interrompe son activité professionnelle deux ans et demi ou qu’elle l’interrompe trois ans, cela ne change pas grand-chose à sa situation professionnelle. En revanche, si le père s’arrête lui aussi six mois, c’est l’autre pilier économique de la famille qui est ébranlé. Que se passe-t-il concrètement ? Sauf exception, et métier qui s’y prête (comme celui de fonctionnaire), les pères ne prennent pas ces six mois, les femmes reprennent le travail au bout de deux ans et demi avec tous les problèmes de garde que cela suppose, la scolarisation de l’enfant n’intervenant qu’à trois ans. Quelle merveilleuse idée, comme elle simplifie la vie des femmes !

Quant à l’affaire de la congélation des ovocytes… elle donne main mise au patron sur la maternité de ses employées. Puisque les ovocytes sont congelés, si elles « lancent » une grossesse à un moment inopportun pour l’entreprise ce sera une faute professionnelle. Bientôt, verra-t-on « ovocytes congelés » sur les CV, sous les mentions « permis B » et « anglais fluent » ?  Et celle qui ne s’y plieront pas passeront-elles pour peu motivées ?

Et je m’interroge sur la phase décongélation-ovulation… Quel en sera le moment opportun ? À 40 ans ? Renvoyer les femmes tricoter des chaussons au moment où elles sont à l’apogée de leurs possibilités, susceptibles de briguer des postes de direction ? À 60, alors ? Ou bien faudra-t-il adjoindre une mère porteuse au « package » ? Sans compter que la gestation n’est pas le seul souci. Quid de la varicelle du bébé, de sa nounou malade, de sa maîtresse en grève ? Le mieux serait évidemment un bébé Hibernatus, congelé, lui-aussi, pour ne pas trop déranger.

 

France Renaissance. Vous soulignez que les féministes s’attaquent davantage à l’homme occidental et demeurent incapable de lutter contre tout « sexisme » ou « violences faites aux femmes » à l’égard de l’Islam. « Il y a une incapacité structurelle à faire face à l’islam, comparable à la panne du logiciel laïcité pour contre le communautarisme religieux » (p.121). Comment peut-on expliquer ce deux-poids-deux-mesures ?

Gabriel Cluzel. L’impuissance du féminisme face au danger que représente la montée de l’islam pour la femme s’explique pour deux raisons : la première est bien sûr son inféodation absolue à la gauche. Supplétif au garde-à-vous dans les bataillons socialistes, elle ne veut pas froisser le nouvel électorat qu’est la population immigrée.Par ailleurs, son logiciel, comme celui de la laïcité, n’est pas formaté pour faire face ! Le féminisme (« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ »), comme la laïcité (« il faut rendre à César ce qui est à César« ), a fleuri sur une culture chrétienne car il y avait le terreau. Il a prétendu s’y opposer, comme la laïcité, mais il s’est finalement modelé sur elle, a cousu une camisole de force à ses dimensions dans laquelle l’islam impérieux fait craquer les coutures !

 

France Renaissance. Dès l’introduction de votre ouvrage, vous semblez voir ce « combat féministe » condamné à une mort certaine – « le moteur continuait à tourner, mais il s’arrêterait d’un coup. Définitivement en panne. C’était fatal. ». Vous soulignez ce point de vue en conclusion. Quels sont les signes vous permettant de soupçonner une telle fin ? 

Gabriel Cluzel. Les incohérences, les contradictions, les lâchetés, les trahisons sont tout d’un coup si flagrantes qu’on ne peut plus faire semblant de ne pas les voir ! Le féminisme va, en particulier, se fracasser contre l’islam. Celui-ci sera le Titanic du féminisme… Le naufrage a d’ailleurs commencé depuis longtemps, mais les signaux de détresse ont véritablement été vus pour la première fois à Cologne.

 

 

Gabrielle Cluzel, Adieu Simone, éditions le Centurion, 2016.

Retrouvez les publications de Gabriel Cluzel sur Boulevard Voltaire.

 

 

 

 

 

 

 

(1) « La vraie, la grande humiliation est là. Dans la pensée univoque de la presse féminine, comme si les femmes n’étaient capables d’aucune réflexion propre et d’aucune controverse argumentée. »

aloysia biessy