Le parti Alternativ Für Deutschland (AfD) est né en février 2013 suite à la crise de l’Euro. Soulignant l’inanité de devoir payer la dette grecque, le parti a connu ses premiers succès cette année-là, obtenant 4.7% des voix aux élections législatives. Un succès renforcé en 2014 aux Européennes, à l’issue desquelles le parti remporte 7.1% des suffrages.

Introduction

Dès le 6 mars 2013, Alternativ Für Deutschland suscite l’attention aux élections communales. Avec 13.2% des voix en Hesse, 10.3 % à Francfort (capitale financière de l’Allemagne, siège de la Bourse et de la BCE), le parti semble soulever l’intérêt de l’électorat. Le 13 mars 2016, les résultats des élections régionales dans trois Länder (à l’ouest, le Bade-Wurtemberg et la Rhénanie-Palatinat et à l’est, la Saxe Anhalt) confirmait cet élan. Avec treize millions d’électeurs, le parti tire la sonnette d’alarme et lance un appel à l’échelle nationale ; alors que les politologues s’interrogeait sur la récupération du Bade-Wurtemberg par le parti d’Angela Merkel (CDU) ou son ravissement de la Rhénanie Palatinat sur les sociaux-démocrates, il n’en a rien été. Thème de choix dans les trois régions, la crise initiée par la gestion catastrophique des flux migratoires du gouvernement a fortement pesé dans la balance. Le vote pour l’AfD, manifestation du mécontentement à l’encontre du pouvoir en place ? Pas seulement…

Un vote enraciné

L’originalité de l’AfD ? Parvenir à s’inscrire de façon plus durable que les mouvements qui l’ont précédé. Ainsi, les mouvements dits d’extrême-droite comme Republikaner, le NDP ou la DVU, n’avaient pas réussi à s’enraciner sur la longue durée dans le paysage politique. Au contraire, l’AfD semble initier une véritable perspective politique novatrice, sorte de « nouvelle étape de la fragmentation du paysage électoral allemand ».

Avec une implantation dans des territoires aussi divers que répartis sur le territoire, l’AfD constitue une véritable menace pour la CDU, se plaçant en seconde position après ce parti. Dans les Länder de l’Est, régions victimes d’un fort taux de chômage et d’une démographie déclinante, ses bons résultats lui permettent d’être représentés dans les parlements de huit des seize Länder. Des scores salutaires : 24,2% en Saxe-Anhalt, 15.1% dans le Bade-Wurtemberg, 12.6% en Rhénanie-Palatinat.

 

L’immigration : un enjeu de taille

Frauke Petry, Président du parti Alternativ Für DeutschlandD’abord inscrit dans un perspective essentiellement économique, l’AfD comptait des membres issus de professions libérales, de dirigeants de PME-PMI (Mittelstand), proches de l’électorat du CDU. Mais la question migratoire a changé la donne : en été 2015, Frauke Petry (ci-contre) se fait élire à la tête du mouvement, recourant à un argumentaire sur la gravité des flux incontrôlés reçus en Allemagne (1.1 millions de personnes en 2015). Remportant 60% des suffrages auprès de ses adhérents, la nouvelle Présidente propose un rapprochement avec le mouvement Pegida, mouvement mobilisé contre l’immigration et l’islamisation de l’Allemagne.

Et de fait : deux tiers des électeurs des trois Länder déclarent que la question de l’immigration a été décisif dans leur choix. Jérôme Fourquet rassure : l’étude de Forschungsgruppe l’a démontrée : seule la riche région de Saxe-Anhalt, qui n’a que faire des questions de chômage, s’occupe des questions d’immigration. 54% des votants de cette région estimeraient qu’il s’agit d’un plus important des problèmes (contre 28% pour la question du chômage).

La circonspection de l’électorat se tourne également vers la crainte d’une islamisation sous-jacente : en grande majorité (90%), les électeurs de l’AfD jugent que l’influence de l’islam serait trop importante[1]. Une opinion globalement partagée par l’ensemble de la population allemande : 52% de la population allemande soupçonne cette influence subsidiaire… De même que les électeurs de la chancelière, qui en sont, pour 56% d’entre eux, persuadés. En somme, cette question est largement partagée par la société allemande, et présente parmi l’électorat de gauche classique, qui reste plus discret sur la question sans l’éluder pour autant.

 

Un vote contestataire

Le Directeur du Département Opinion et Stratégies d’Entreprises de l’Ifop souligne que c’est le mécontentement, cristallisé par la conduite du gouvernement d’Angela Merkel en matière d’immigration, qui a entraîné cet élan. Car le vote des insatisfaits[2] de la chancelière entre en corrélation avec les suffrages exprimés en faveur de l’AfD. Ainsi, 75 % des électeurs de l’AfD de la Saxe-Anhalt estiment que leur région n’est pas capable de faire face à l’arrivée massive des clandestins.

Il est vrai que l’AfD se prononce largement sur des questions nationales, soulignant l’inanité de la conduite gouvernementale, notamment en matière d’immigration. Dans les trois Länder dont l’AfD a reçu le support, la quasi moitié des électeurs avouent avoir exprimé ce vote dans une visée contestataire, afin d’envoyer « un signal de mécontentement aux autres partis politiques ». C’est aussi une large contestation exprimée à l’encontre de la Démocratie de la part des électeurs de l’AfD : car 83% des votants de ce parti, en Rhénanie-Palatinat estiment que la Démocratie fonctionne mal (sondage Infrastest-Dimap).

 

Un électorat populaire : jeunes actifs, chômeurs et ouvriers

En dépit des considérations de l’Ifop, la question économique semble être bien présente au sein de l’électorat de l’AfD : ainsi, 35% des électeurs de ce mouvement estiment que leur situation économique est mauvaise – soit deux fois plus que les électeurs globaux de ce Länder. Il en va de même pour l’électorat AfD de Saxe-Anhalt, dont 40% estime qu’il se trouve en situation économique délicate[3].

C’est donc à un électorat populaire que s’adresse ce mouvement, se tournant notamment vers les ouvriers et les chômeurs (Saxe-Anhalt et Bade-Wurtemberg en ayant la primeur).   Ce sont également les suffrages des indépendants qui ont permis au parti de se hisser dans ces deux régions. Fonctionnaires et retraités, particulièrement protégés à l’échelle économique, ne se sont pas émus pour le mouvement. Ce sont donc les couches de la société fragiles, inquiétées par un monde « moderne et mondialisé » et percevant l’immigration comme le point culminant de la crise actuelle, qui se sont levés en faveur de l’AfD.

En somme, ni romantisme juvénile, ni élans réactionnaires vieillis dans les rangs de l’AfD : c’est un électorat populaire, inscrit dans les tranches d’âges actives, qui vote en sa faveur. A l’échelle territoriale, l’adhésion s’est également fait l’écho de cette classe populaire : le parti a majoritairement rencontré l’adhésion dans les zones rurales et les vieux bassins industriels.

En termes d’abstention, l’AfD a également su convaincre : avec une hausse de la participation dans les trois Länder concernés par le vote pour ce parti, une baisse de 10 points de l’abstention est à noter. 100 000 ex-abstentionnistes ont voté en sa faveur en Saxe-Anhalt (soit près de 40% de son électorat), tandis que 210 000 ex-absentionnistes Bade-Wurtemberg se sont mobilisés (soit 28% de son électorat). On compte également des anciens électeurs de la CDU au sein de ce vote – 15% en Saxe-Anhalt, 25% en Bade-Wurtemberg. Un basculement au sein des suffrages chrétiens-démocrates à prendre en compte ! Immigration, sécurité, justice sociale et situation économique ont respectivement motivé leur choix.

L’électorat de gauche s’est également reconnu dans ce parti : les 90 000 électeurs du Bade-Wurtemberg, qui avaient voté pour le SPD en 2011, représentent désormais 12 % du nouvel électorat. En Saxe-Anhalt, la gauche essuie également un recul significatif, avec 8% d’ancien électeurs du SPD et 11% de Die Link. Réels, variables, ces changements sont significatifs de l’émergence d’un parti « tout terrain », qui signe la fin du plébiscite du vote ouvrier et salariés ; ces derniers ne votent plus pour un SPD désormais estampillé social-libéral.

Conclusion

L’immigration a donc porté un coup définitif au vote pour les partis majoritaires, observation de plus en plus perceptible dans de plus en plus de pays européens. Un élan que semble craindre la Commission européenne, qui a proposé que les pays refusant de prendre des réfugiés[4] seraient soumis à une amende de 250 000 € … par réfugié refusé ! Une décision qui risque d’engendrer un soulèvement parmi des pays de l’Europe de l’Est (Hongrie, Slovaquie), qui ont attaqué le plan de répartition par quotas devant la Cour Européenne de Justice… A suivre !

 

Sources : étude de l’IFOP, Jérôme Fourquet, Chroniques allemandes, n°15, Mars 2016.

 

[1] Du fait de l’insécurité physique, économique et culturelle qu’elles y perçoivent.

[2] Insatisfaction qui atteint 35% en Rhénanie-Palatinat, 40% dans le Bade-Wurtemberg et 49% en Saxe-Anhalt.

[3] Chaque région a reçu respectivement 37% et 30% des voix des ouvriers ; 38 % et 32 % des voix des chômeurs

[4] Selon les règles entrant en vigueur le mercredi 4 mai 2016.

aloysia biessy