Le média EurActiv, plateforme dédiée aux politiques européennes, organisait une table-ronde sur le traité transatlantique (TTIP). Parlementaires, chefs d’entreprises : les intervenants étaient nombreux à débattre sur les éventuelles opportunités du traité transatlantique en France, ce mercredi 17 février 2016.

Du 22 au 26 Février 2016 aura lieu la douzième étape des négociations concernant le Traité Transatlantique (dit TTIP) à Bruxelles. Les Etats-Unis et l’Europe jouissent aujourd’hui d’une complémentarité économique. Malgré des taux de croissance inégaux (1,2% pour l’Europe contre 5% pour les USA)[1], ces deux acteurs sont deux puissances économiques mondiales majeures. Complémentaires, les sociétés européennes créent chacune de l’emploi dans le pays partenaire. Ainsi, 40% des IDE (investissements directs à l’étranger) reçus par la France proviennent des Etats-Unis. Les entreprises contrôlées par les USA en France apportent un plus de 0,3% par an. Ce traité de coopération commerciale entre l’Europe et les USA n’est pas en conséquence pas une idée neuve. De nombreux économistes partisans d’un libre échange délié de toutes barrières tarifaires ont préparé le terrain (Milton Friedman, Friedrich Hayek, Maurice Allais etc.)

La règle d’or des traités commerciaux internationaux se résume dans l’expression « gagnant-gagnant » : si les négociations devant aboutir à la signature et la mise en application du traité sont loin d’être terminées, les déséquilibres qui subsistent ne laissent pour le moment pas préfigurer d’une politique mutuellement bénéfique. L’aboutissement de négociations équitables est loin d’être acquis, de même que l’accompagnement et l’information au près des populations civiles des tenants et des aboutissants d’un tel traité. Ce traité doit également garantir un impact positif sur tous les secteurs, objectif particulièrement tardif à se faire ressentir. Les services dans le domaine du transport, le domaine des machines et de l’outillage bénéficient pour une large proportion du traité, là où d’autres secteurs, comme l’agriculture, n’en ont actuellement pas l’opportunité. Au sein même du domaine de l’agriculture, on constate un déséquilibre, l’industrie laitière et fromagère profitant davantage du traité que le secteur de l’élevage (dont on sait combien il est sensible aujourd’hui).

L’intérêt de la France dans ce traité reste la question essentielle. La classe politique dévoile un avis mitigé sur la question. Le Sénateur du Tarn UDI, Philippe Bonnecarrère, émet des réserves quant à son bénéfice. Avantages et inconvénients doivent être pesés sans concession. Mais la France est-elle suffisamment compétitive ? s’interroge le parlementaire. « Ce traité doit être mixte ou ne doit pas être », indique-t-il. La question du statut juridique est en cour de réflexion au niveau européen. Si son statut de traité mixte venait à être adopté, le traité devrait alors être validé par les Parlements de chacun des états membres.

« L’Europe est la première puissance commerciale au monde », affirme de son côté Franck Proust, député PPE au Parlement Européen avant d’ajouter que « les entreprises ont besoin d’aller chercher la croissance ailleurs ». Au regard du contexte économique actuel difficile, ne serait-il pas plus sage d’assurer aux PME ayant du mal à se maintenir à flot un développement dynamique à l’échelle nationale avant de tout faire pour que celles-ci puissent traiter avec l’étranger ? N’est-ce pas là chercher une solution à la conséquence plutôt qu’à la cause du problème ? N’est-ce pas un indicateur de plus de l’écart entre la compétitivité européenne et américaine ? Les entreprises doivent aujourd’hui à faire face aux problèmes du quotidien et ne prêtent qu’un intérêt mitigé pour des traités tels que le TTIP, qui semble prématuré au regard de la situation difficile que vivent les entreprises. Elles ne doivent pas fuir pour chercher la croissance ailleurs mais se battre pour la relancer localement. Dans un deuxième temps, une ouverture à l’international doit être envisagée. Une autre limite réside dans les conflits commerciaux : les PME n’ont pas les épaules pour faire face à la justice américaine et risquent l’expropriation, situation d’autant plus grave qui ce qui est décidé dans le cadre du TTIP fera jurisprudence. Les PME représentent certes 90% des entreprises exportant aux USA mais seulement ¼ en volume de ces exportations. Elles doivent faire face à des règles techniques, des procédures de franchissement des frontières, des taxes qui sont paradoxalement plus élevées pour elles que pour les plus grosses sociétés.

Le député européen Franck Proust insiste sur quelques points non négociables qui devront figurer au traité, conditions « sine qua non » de son adoption. A défaut d’être effective, la réciprocité dans l’ouverture des marchés publics est attendue. Alors que les états de l’Union-Européenne ont ouvert 90% du volume de leurs marchés publics, les taux sont beaucoup plus faibles pour les Etats-Unis[2]. La défense de nos indicateurs géographiques protégés (IGP) doit également faire l’objet d’intransigeance[3]. L’élaboration d’une norme « américano-européenne » nécessitant un ajustement normatif vers le haut pour les états de l’union apparaît également indispensable, comme le confirme Charles-Henri Weymuller, chef du bureau Multicom 1 Direction Générale du Trésor, au Ministère des Finances. Il considère d’ailleurs la convergence règlementaire réciproque comme un élément structurant du traité. Le Ministère des Finances souligne à cet égard que le traité comme devant être « ambitieux, équilibré, et mutuellement bénéfique ».

Rien ne laisse présager d’une réussite réciproque d’un tel traité. Les partisans de son aboutissement engagent à se tourner vers les précédents et prennent comme exemple le traité conclu en 2010 entre l’Union Européenne et la Corée du Sud. Pourtant, la Corée du Sud ne saurait être comparée aux Etats-Unis. De même il leur semble impensable d’être prompt à la critique alors que le traité n’est aujourd’hui qu’en phase de négociation. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’attendre qu’un désastre se produise effectivement pour le prévenir et réagir. Une action en amont permettrait de limiter les dommages. De nombreux déséquilibres subsistent encore, les Etats-Unis n’ont pas besoin de l’Europe et ont d’autres priorités. Selon les conférenciers, le traité n’est pas à rejeter dans son intégralité mais pêche pas certains aspects et semble prématuré.

 

  • Quelques réflexions en matière de conclusion 

Le déroulement des négociations du traité transatlantique soulève de nombreuses questions, suscitant des réactions contre son manque total de transparence. La plupart des rencontres réalisées dans son cadre (Commission de l’Union Européenne) a été menée avec de grands représentants d’entreprises, contre un trop faible nombre de représentants de consommateurs ou de syndicats. Les modalités du traité restent assez obscures : en mai 2014, 55% des Français reconnaissaient ne pas avoir connaissance de ce traité, et 28 % admettaient ne pas en connaître les tenants et les aboutissants[4]. Même à l’échelle parlementaire, tout accès à ces données semblent délicat : « Les documents sur le traité transatlantique sont consultables uniquement en anglais, dans une salle fermée, en étant escorté par un fonctionnaire de Matignon, en laissant son téléphone à l’entrée, avec des menaces de sanctions pénales en cas de divulgation de leur contenu », souligne Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines, à l’issue d’une Question au Gouvernement le 18 février 2016[5].

Ce manque de clarté nuit à la compréhension d’un traité, auquel de nombreuses contestations semblent pouvoir être légitimement soulevées : la perte de souveraineté en constitue l’un des premiers effets. Avec ses chambres arbitrales privées, qui permettent aux entreprises américaines de faire valoir un droit à des dommages-intérêts si celles-ci estiment avoir subi des pertes, permettent à des officines commerciales d’attaquer directement les législations souveraines de l’Union Européenne ou de ses Etats Nations[6]. Sorte de « justice privée » qui, en cas de conflit, pourrait conduire bien souvent à « rompre le lien juridique investisseur / Etat alors qu’il a vocation à être pérenne », souligne justement Frédéric Farah, professeur à Sciences-Po Paris[7].

D’autres mesures particulièrement préoccupantes risquent de découler de ce traité ; dangers industriels – notamment avec une fracturation hydraulique imposée alors qu’elle a été interdite en France[8], concurrence déloyale – engendrant des conditions comportant des enjeux en matière du droit du travail , dérégulation des services publics,… L’introduction d’une certaine quantité d’organismes génétiquement modifiés (OGM) concentre également les inquiétudes : si leur diffusion ne saurait être immédiatement généralisée (dans le cadre de la législation européenne), l’intervention des tribunaux internationaux pourrait aisément faciliter la mise en culture ou la commercialisation de certains OGM…. Au détriment de la qualité de la production de chaque nation européenne !

Sous couvert de garantir une remontée du taux de croissance, de permettre un octroi massif de postes, les tenants du TTIP restent hostiles à la critique. Pourtant, même les rapports économiques plaidant en sa faveur reconnaissent l’incertitude avec lesquels ils appréhendent les conséquences envisagées. Ainsi de l’étude de l’économiste pro-TTIP, Gabriel Felbermayr (IFO), qui admet que les méthodes de calcul employées ouvrent la voie à des « interprétations différentes[9] »,… Le traité transatlantique signe la fin du marché unique européen, où la plupart des échanges s’opèrent de façon interne. Avec 0,7% des PME européennes et françaises exportant vers les Etats-Unis et des services exportés représentant moins de 2% de la valeur ajoutée par l’ensemble des PME européennes[10], il met fin aux intérêts commerciaux d’une telle union, à la préférence de sa propre production, à son essence souveraine.

[1] Données Eurostat

[2] Euractiv.fr

[3] Appellation de châteaux pour le secteur vinicole par exemple.

[4] « En mai 2014, 55% des Français ne connaissaient « pas du tout » son existence et 28% « pas vraiment ». Article de l’Obs, 11/10/2015, Les Allemands, eux, se mobilisent contre le TTIP.

[5] Tafta : l’opacité des négociations dénoncée, article le Figaro, 18/02/2016. http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/02/18/97001-20160218FILWWW00123-tafta-poisson-lr-critique-l-opacite-des-negociations.php?print=true

[6] Comment la France a laissé la voie libre aux tribunaux privés internationaux, Le Monde, décembre 2014, http://transatlantique.blog.lemonde.fr/2014/12/19/comment-la-france-a-laisse-la-voie-libre-aux-tribunaux-prives-internationaux/.

[7] Atlantico, le 6 novembre 2015, TTIP, un accord de libre-échange risqué pour la démocratie aux bénéfices économiques hypothétiques.

[8] Communiqué de l’association Agir pour l’Environnement. http://www.agirpourlenvironnement.org/campagne/arguments/tafta-et-la-menace-des-gaz-de-schiste

[9] Article de Rue89, op.cit.

[10] Atlantico, op., cit.

aloysia biessy