Attendue par les différents syndicats de police, et surtout après les attentats de janvier, une proposition de loi sur la légitime défense dans l’exercice de la fonction policière vient d’être déposée à l’Assemblée Nationale par Eric Ciotti, député UMP des Alpes-Maritimes

Un vide juridique enfin comblé ?

Le contexte dans lequel travail la police est de plus en plus difficile. On constate une hausse de la violence dans les agressions, et, surtout, des délinquants de plus en plus violents, n’hésitant pas à faire usage d’armes de guerre. En outre, la période de menace terroriste invite le gouvernement à faire preuve de souplesse vis-à-vis des forces de l’ordre qui protègent la nation. Une conclusion s’impose alors : il est nécessaire de renforcer les moyens dont disposent les policiers tant pour assurer leur propre sécurité que pour assurer la sécurité de l’ensemble des citoyens.

Ce texte de loi vient alors pallier une inégalité dans la législation entre policiers et gendarmes, qui ne disposent pas des mêmes règles. Alors que les gendarmes peuvent faire feu après deux sommations, certes, dans des conditions limitatives, ce n’est pas le cas pour les policiers. Les policiers ne peuvent ainsi faire usage de leur arme que dans la seule condition d’être eux-mêmes menacés par une arme de même nature. C’est le droit commun de l’article 122-5 du code pénal qui s’applique alors aux policiers. Cet article doit être modifié pour prendre en compte les évolutions du champ de la violence dans les situations particulières. En effet, la légitime défense comprend trois points particuliers :

D’abord, la nécessité d’agir, c’est-à-dire, la nécessité de mettre fin à l’agression. Dans ce cas, la législation pourrait évoluer vers un concept plus global, celui de « nécessité de mettre fin à la menace d’un danger imminent ».

Ensuite, la condition de la simultanéité n’est remplie que si l’agresseur braque son arme sur le policier ou sur quelqu’un d’autre. Dans ce cas particulier, le policier n’est pas dans la possibilité de se défendre si l’individu tient son arme à la main et refuse de la déposer. Il faut que ce dernier braque son arme sur la police pour la condition de la simultanéité soit remplie. Cette notion devrait alors être remplacée par la suivante « menace d’un danger imminent par des personnes armées ». Tout comme la gendarmerie, il semble évident que les forces de l’ordre devrait avoir la possibilité de tirer sur un individu armé après les deux sommations d’usage. Cela permettrait, d’une part, de ne pas attendre que le policier soit directement menacé, et d’autre part, les délinquants seraient incités à déposer leur arme sur injonctions de la police.

Enfin, la notion de proportionnalité n’entre pas encore en compte. Il faut ainsi prévoir un cadre juridique dans lequel les policiers pourraient déployer la force armée sans engager leur responsabilité pénale. D’une autre façon, on note la disproportion de la défense, lorsque les policiers sont roués de coups, que leur vie est en danger imminent et qu’ils ne peuvent faire usage de leur arme.

Ces trois motifs viendraient combler un vide juridique pour les policiers en exercice, d’autant plus que les magistrats font une application stricte de ces conditions. Il devient alors difficile, pour les forces de l’ordre, de faire valoir la légitimité de l’usage de leur arme. Les conséquences de la non-reconnaissance de la légitime défense pour les dépositaires de l’autorité sont de plus en lourdes. Nombreux sont les mises en examen, les interdictions d’exercer et les procès qui entourent la police, sans compter la démotivation, la crainte de sortir une arme et de faire feu, au détriment du bien public et de nos concitoyens.

La législation doit à tout prix remédier à cette situation plus que bancale. C’est dans ce but que le député Eric Ciotti présente cette proposition de loi qui modifierait le code pénal en faveur des policiers dans le cadre de leur fonction, en s’inspirant des dispositions prévues pour les gendarmes à l’article L. 2338-3 du code de la défense.

Bien évidemment, comme le souligne les différents syndicats de police eux-mêmes, il ne s’agit pas de donner l’impunité aux policiers ni même de leur délivrer un permis de tuer, mais simplement de les protéger et de leur donner la possibilité de se défendre et par là même, de défendre la société.

La proposition de loi demande donc de rajouter, après l’article 122-6 du code pénal, un article unique ne rendant pas pénalement responsable les dépositaires de l’autorité publique dans le cadre de la légitime défense dans cinq cas bien définis : lors d’un danger imminent par des personnes armées, lorsqu’ils sont attaqués et ne peuvent faire autrement pour se défendre, lorsque des personnes refusent de déposer leur arme après deux injonctions, lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain et les personnes qui leur sont confiés, et enfin, lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement un véhicule. 

Il est à noter qu’une proposition de loi de même nature vient d’être présentée par le député Gilbert Collard, rejoignant la proposition d’Eric Ciotti,  mais touchant la présomption de légitime défense des forces de police, pour se calquer sur celle de la gendarmerie, déjà encadrée. Par ailleurs, Nicolas Sarkozy avait prôné la présomption de légitime défense, lors de son discours au Raincy en 2012, pour les forces de l’ordre, thème que le Front National avait lui-même évoqué lors des élections présidentielles de 2007, puis de 2012.

Cette proposition de loi demande un acte fort de la part du gouvernement, notamment après les promesses lancées en faveur des forces de l’ordre après les attentats de janvier.

 

Une question ouverte sur la légitime défense en France

Par delà la question de la légitime défense de nos forces de l’ordre, c’est aussi la question de la défense du citoyen qu’il faut soulever. Certes, il ne s’agit pas de se faire justice soi-même, mais il convient de se pencher sur les limites que nous impose la loi dans ce domaine et de voir vers quelles évolutions nous pouvons tendre. L’actualité récente l’a montrée à diverses reprises, que ce soit dans l’affaire du bijoutier de Nice ou encore de celle de « Papy Galinier »Entre ces exemples récents et la hausse de la violence dans la société, le débat doit être relancé.

Il est d’abord impératif d’avoir une véritable réflexion de fond sur l’encadrement de la légitime défense. Comme pour les forces de l’ordre, les conditions de la légitime défense sont cumulatives et restrictives, et nombreux sont les cas où les magistrats appliquent la loi à la lettre, quitte à demander à la victime attaquée de justifier ses actes. En effet, si la légitime défense peut être présumée dans deux cas : si l’agresseur entre de nuit par effraction dans un lieu habité et en cas de vol ou pillage avec violence ; il n’en demeure pas moins que quatre conditions sont nécessaires pour prouver sa bonne foi.

La légitime défense peut être employée dans le cas où la personne qui subit l’agression à son encontre ou à l’encontre d’une tierce personne, l’est de façon injustifiée. Une deuxième condition s’impose à la première. Il faut que l’acte de défense soit nécessaire, c’est-à-dire que le recours aux forces de l’ordre est impossible. Les motifs de l’agresseur doivent être, par ailleurs, univoques. Ensuite, la défense doit être proportionnelle à la gravité de l’atteinte. L’usage d’une proportionnalité mathématique chez les juges rend cette condition difficile quand la vie d’une personne est en jeu. Enfin, il faut que la riposte intervienne au moment de l’agression, de façon simultanée et non après. La justice place l’action dans la simultanéité alors que la législation devrait tendre à « une action de temps globale » ou de « continuité objective du risque [1].

L’application de la loi par les magistrats rend l’acte de légitime défense plus que théorique lors d’un procès. Il serait bon de prendre en compte les conséquences de l’effroi causé par la nécessité de se défendre, en particulier d’une personne de bonne, dans une situation de stress [2]. Dans un même registre, peut-être serait-il judicieux d’adapter la formation des « magistrats dont la profonde méconnaissance des réalités techniques et émotionnelles des situations de violence extrême est parfois confondante [3] ». Le problème, pour le moment, reste donc une application réaliste et de bon sens des critères de la légitime défense dans les tribunaux.

La plupart des cas de légitime défense au tribunal concerne les porteurs d’armes. Devant l’ampleur de la mobilisation médiatique sur plusieurs affaires, le port légal d’arme fait toujours débat en France. Par nature, les détenteurs d’armes sont considérés comme des « fêlés de la gâchette [4] » et donc potentiellement dangereux pour la société. Si ces personnes font usage de leur arme dans le cadre de la légitime défense, parce qu’on viole leur domicile, qu’on les agresse, par exemple, il n’est pas rare de voir un retournement de situation en défaveur de la victime. La législation doit porter un autre regard sur les personnes qui se défendent grâce à leur arme. D’un côté, l’agresseur devrait s’attendre à ce que la victime puisse riposter et dans ce cas, cela aurait un effet dissuasif sur les agresseurs. D’un autre côté, si la législation américaine autorise les armes, il est bon de noter que, contrairement à l’Europe qui a un taux de 1 crime pour 19 habitants, les Etats-Unis, eux, n’enregistrent qu’1 crime pour 28 habitants [5].

La proposition de loi d’Eric Ciotti doit servir de base à une réflexion en profondeur sur le thème de la légitime défense en générale et amènerait un réajustement de la loi ou du moins, une application de bon sens. Ne serait-ce pas aussi l’occasion d’avoir un regard nouveau sur les détenteurs d’armes et de voir l’usage dissuasif par delà les stéréotypes véhiculés ?

[1] http://www.institutpourlajustice.org/wp-content/uploads/2013/02/NS-N%C2%B025_Thibault-de-Montbrial.pdf

[2] En Suisse, cette disposition est déjà en vigueur, protégeant la victime.

[3]http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/03/05/31003-20140305ARTFIG00116-legitime-defense-les-francais-contraints-de-se-faire-justice-eux-memes.php

[4] Bruno Le  Roux, 25 janvier 2011, http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2010-2011/20110105.asp

[7] http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Crime_statistics/fr

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