La Turquie, toujours candidate à l’entrée dans l’Union européenne, est pointilleuse sur le sujet du génocide arménien, et n’apprécie guère lorsqu’il lui est rappelé cette terrible tragédie. Pourtant, le pays dirigé d’une main de fer par Erdogan risque bien d’en entendre parler, puisque cette année sera commémoré par les communautés arméniennes, mais pas seulement, le centenaire de ces massacres. Sujet sensible pour la République turque de moins en moins laïque puisque cet épisode sombre de leur histoire coïncide avec la formation de leur unité nationale.

Guerre froide diplomatique entre le Vatican et Istanbul :

Dimanche dernier, le pape a célébré la messe pour les victimes du génocide arménien. C’était le jour de la divine Miséricorde, instituée par Jean-Paul II le deuxième dimanche de Pâques. C’est sous ce double patronage que François a dénoncé dans son homélie « le premier génocide du XXe siècle ». Le souverain pontife a cité mot pour mot Jean-Paul II, qui employa ces termes, le 27 septembre 2001, dans une déclaration commune avec Karékine II, plus haut dignitaire de l’Église apostolique arménienne (orthodoxe) qui assistait à la célébration dimanche. Ce n’est donc pas nouveau pour l’Église catholique, mais le caractère oral de la déclaration et la prononciation du mot « génocide » dans une messe solennelle, devant des milliers de fidèles et les caméras de la télévision a provoqué un fort écho. Surtout cette déclaration a été faite en présence du président arménien, Serge Sarkissian. Le propos du pape s’inscrit dans la continuité de l’attitude de l’Église catholique dans cette tragédie puisque Léon XIII et Benoît XV avaient cherché, en leur temps, à intervenir en faveur des chrétiens de la région, assassinés par les musulmans. Rien de nouveau, hélas, dans cette haine contre les chrétiens « atrocement tués, décapités, crucifiés, brûlés vifs (…) à cause de leur foi au Christ », a dénoncé François.

La réaction turque ne s’est pas fait attendre. Ankara a rappelé son ambassadeur pour consultation et le Premier ministre a qualifié les propos du pape sur le génocide arménien de « partiaux » et « inappropriés ». Pour les Turcs, il n’y eut qu’une guerre civile accompagnée d’un déplacement de populations, au cours desquelles périrent tout au plus 500 000 Arméniens. Qui prétend le contraire, aujourd’hui encore en Turquie, peut être poursuivi au nom d’une loi promulguée en 2005 interdisant « d’insulter l’identité turque », ce dont fut menacé le prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk. Il est avéré, pourtant, qu’en septembre 1915 le ministre de l’Intérieur du gouvernement d’alors a communiqué à la direction du mouvement Jeunes-Turcs à Alep l’ordre suivant : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici. »

Si le pape a dénoncé ce génocide aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour célébrer un triste centenaire qui méritait d’être rappelé face à la négation obstinée des Turcs, que certains voudraient pourtant intégrer à l’Union européenne. C’est pour relier les massacres des chrétiens d’hier à ceux d’aujourd’hui que François a parlé haut et fort. Le premier a eu lieu dans la relative indifférence du reste du monde, comme aujourd’hui le massacre des chrétiens : « Des évêques, des prêtres, des religieux, des femmes, des hommes, des personnes âgées et même des enfants et des malades sans défense ont été tués. » Et hier, comme aujourd’hui, c’est au nom de l’islam.

Rappel historique de ce génocide nié par les autorités turques :

Si les massacres d’Arméniens ont pris la tournure d’un génocide en 1915-1916, il ne faut pas oublier que les Turcs s’étaient déjà largement fait la main des années plus tôt. Quand, en 1876, Abdul Hamid II devient sultan, les Turcs prennent prétexte de la guerre avec la Russie (1877) pour anéantir des villages entiers d’Arméniens. Ce qu’on appellera les « massacres hamidiens ». Après le Traité de Berlin, en 1878, les persécutions vont s’intensifier et, dès lors, être institutionnalisées. En 1891, par exemple, est créée une cavalerie kurde (les hamidiès) qui répand la terreur. Les massacres de 1895-1896 dans les provinces arméniennes s’élèveront à quelque 300 000 morts. Et la ronde infernale continuera en 1904, 1909, 1912, 1913.

L’arrivée des Jeunes Turcs au pouvoir ne va rien arranger. Balayé par les Russes pendant la Grande Guerre (notamment à Sarikamish), l’Empire ottoman va se venger contre les Arméniens. Les membres du CUP (Comité Union et Progrès), dirigé par deux fanatiques, les docteurs Nazim et Behaeddiner Chakir, mettent sur pied l’élimination totale des Arméniens. La tâche est confiée à l’Organisation spéciale, structure militaire rattachée d’abord au ministère de la Guerre, puis à celui de l’Intérieur. Le 24 avril 1915, 700 notables arméniens de Constantinople sont arrêtés et déportés. De mai à juillet 1915, les Arméniens des six provinces arméniennes et du vileyet de Trézibonde sont assassinés par des Kurdes et des milices de volontaires, les tchété. Tous les hommes sont massacrés. Les femmes et les enfants sont déportés à Alep et à Mossoul. Au cours de cette longue marche, ils seront la proie des nomades kurdes et des Turcs des villes traversées. Fin août 1915, il n’y a plus un seul Arménien dans la région où ce peuple vivait depuis vingt-sept siècles.

La seconde partie du plan d’extermination commence dès août 1915. Les Arméniens rescapés des premiers massacres sont dirigés vers des camps de la mort en Syrie, au Liban et en Palestine. Ils y mourront par milliers. En septembre 1916, les rares survivants sont envoyés dans la vallée de Khabour, regroupés dans des cavernes et brûlés vifs. Un génocide dont le nombre de victimes est estimé entre 1,5 et 2 millions. Plus de 100 000 femmes et enfants, raflés par des Turcs et des Kurdes, seront réduits à l’état d’esclaves. On estime à 600 000 le nombre d’Arméniens ayant échappé au génocide (dont certains de Constantinople et de Smyrne, protégés par le général allemand Liman von Sanders).

De nos jours :

Fidèle à son rôle historique, la France doit se positionner en faveur des minorités chrétiennes opprimées. Le génocide arménien ne doit pas être occulté pour de basses raisons politiques. Car si la vérité sur les faits de 1915 est occultée aujourd’hui, sachant que l’Histoire se répète avec l’extermination par l’État Islamique des chrétiens au Moyen-Orient, il n’y a aucune raison que les faits soient mis au grand jour demain. Si le génocide arménien a été reconnu par la France en 2001, le génocide assyrien ne l’est pas encore.  C’est pourquoi l’Institut France Renaissance soutient la proposition de Valérie Boyer (UMP) visant à faire reconnaître au Parlement le caractère génocidaire du massacre parallèle des Assyro-chaldéens il y a un siècle. Cette proposition n’avait malheureusement pas abouti en 2012. La Turquie doit se réconcilier avec son passé, et cela passe par admettre son implication dans un des plus grands drames humains (en tout cas le premier) du XXe siècle.

 

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