A partir de 2018, si de son vivant le défunt n’a pas fait part de son refus de prélèvement d’organes, ce prélèvement pourra être pratiqué automatiquement. Les proches de personnes décédées ne seront plus consultés, mais seulement « informés des prélèvements [d’organes] envisagés et de la finalité de ces prélèvements ». C’est ce que veut mettre en place un amendement déposé par le député Jean-Louis Touraine et Michèle Delaunay qui a été adopté en Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, lors de l’examen de la loi santé le 19 mars 2015. Passé inaperçu avant qu’il ne soit voté en douce au cours de la nuit, cet amendement vise à modifier le Code de la santé publique concernant le don d’organes.

Présenté comme nécessaire pour faire face à la pénurie d’organes, cet amendement semble être très violent pour les familles privées de leur droit de regard au début de leur deuil. Voté deux jours après la loi « fin de vie » à l’Assemblée nationale, il pourrait faire place à de malheureuses dérives.

 

Le don d’organes en France :

La loi Caillavet de 1976 avait déjà instauré le «consentement présumé», qui fait de chaque Français un donneur potentiel à moins qu’il ne se soit opposé à un don d’organes avant son décès. Pour signifier ce refus, une inscription peut être faite de son vivant sur le registre national des refus (qui compte 100.000 inscrits). Mais ce refus peut également être exprimé (depuis 1994) par la voix des proches du défunt qui sont systématiquement interrogés sur ses volontés et majoritairement entendus.

La loi veut qu’à partir de 2018 la famille ne puisse plus s’opposer au prélèvement si  le défunt ne l’a pas fait de son vivant. « Changer la loi permettrait de résoudre la pénurie d’organes et d’éviter des milliers de morts illégitimes chaque année », déclare Jean-Louis Touraine.

80% des Français se montreraient favorables à des prélèvements d’organes après leur mort, mais dans les faits, l’Agence de la biomédecine indique que le taux de refus de prélèvement est passé de 9,6 % en 1990 à 33,7 % en 2012 et à près de 40 % si les calculs prennent en compte les seuls greffons utilisables.

Cet amendement a donc été salué par la Fondation Greffe de vie, qui dénonce la mort de 500 à 700 personnes chaque année par manque de greffons. Pour la Fondation « 19.000 personnes sont aujourd’hui en attente d’une greffe en France, un nombre qui augmente beaucoup plus vite que les greffons disponibles.» « 1% de refus équivaut à 100 greffons. »

Si le bien-fondé du don d’organes n’est bien sûr pas remis en question, de grandes inquiétudes se font entendre face à cet amendement.

 

Une violence pour les familles :

Pour Yvanie Caillé, la directrice de l’association de malades et greffés du rein Renaloo, court-circuiter l’avis des familles « n’est pas forcément la mesure la plus efficace et la plus souhaitable » pour augmenter les dons d’organes. Elle craint « des réactions délétères des familles qui risquent de se sentir agressées par l’application stricto sensu de ce texte », et souligne l’importance d’un « dialogue » entre les parents et les équipes de coordination, comme c’est le cas en Espagne où le taux de refus atteint seulement 15%. C’est en « accompagnant les familles plutôt qu’en leur extorquant un consentement » qu’on réussira, estime-t-elle, à faire augmenter les dons d’organes.

C’est un sentiment répandu. Alliance Vita s’interroge sur l’exclusion de la famille et des proches de la consultation préalable. « Le don d’organes relève d’une forme de solidarité permettant de sauver de nombreuses vies chaque année. Pour autant, la pénurie d’organes ne doit pas faire dériver un encadrement strictement réglementé : s’assurer du libre consentement (ou du moins du non-refus) et de la finalité thérapeutique ; puis contrôler les conditions de prélèvement d’organes, en particulier ceux sur « donneur à cœur arrêté » ou sur patients chez qui on décide d’arrêter les traitements, car le prélèvement d’organe ne peut se faire au détriment de soins dus à des malades incurables ou à des personnes parvenues à un grand âge ».

 

Attention aux dérives :

Hasard inquiétant de calendrier,  cet amendement est présenté et adopté deux jours après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti sur la « fin de vie » à l’Assemblée nationale, qui introduit une sédation profonde et continue couplée à une interruption de l’hydratation et de la nutrition.

Dès lors il devient légitime de s’inquiéter de possibles dérives, guidées certes par la bonne foi et la volonté de sauver un patient, face à cette pénurie d’organes. Le prélèvement ne peut se faire au détriment des soins dus à des malades incurables ou des personnes âgées.

Surtout la situation de nos voisins belges et hollandais doit nous faire réfléchir. Ces pays dans lesquels l’euthanasie est autorisée pratiquent le prélèvement d’organes après des euthanasies, afin « d’aider les candidats à l’euthanasie à donner du sens  à leur mort ».

 

Choc pour les familles, dérives potentielles, cet amendement de la loi Santé parait vraiment maladroit et inquiétant. Si la pénurie d’organes est réelle, la quête ne peut se passer de cette façon au détriment d’un dialogue et d’un accord des familles. 

Rédacteur Web