Philippe Maxence, Chesterton face à l’islam. Entre paradoxe et théologie,

Paris, Via Romana, 2014, 178 p., 13 €

            Philippe Maxence, rédacteur en chef du bimensuel catholique L’Homme nouveau, est un passionné de Gilbert Keith Chesterton, célèbre écrivain anglais converti au catholicisme. Il lui a consacré divers autres textes, tels que Pour le réenchantement du monde, une introduction à Chesterton (Ad Solem, 2004) ou L’Univers de Chesterton, petit dictionnaire raisonné (Via Romana, 2008). Ne parlons même pas des articles ou préfaces ! Avec Chesterton face à l’islam, Philippe Maxence semble inaugurer une collection « Les Amis de Chesterton » (sans doute liée à l’association du même nom), collection qui, probablement, visitera cette plume géniale à travers différents thèmes. Aujourd’hui : l’islam (le titre du livre est des plus limpides).

            Ce petit ouvrage (10 x 16 cm) se découpe en trois parties, à peu près égales en épaisseur. La première, constituée de cinq chapitres, tente « de montrer l’approche théologique de l’islam sur laquelle s’est appuyé Gilbert Keith Chesterton » (p. 9). « La seconde partie, plus courte, est constituée d’un florilège de citations, empruntées à divers livres ou articles de Chesterton et qui éclairent, chacune à sa manière et chacune sur un thème bien précis, la façon dont il a traduit par écrit son regard sur l’islam » (p. 10). Remarquons au passage que cette partie est intéressante dans la mesure où la plume de Chesterton est des plus agréables à lire et où les extraits sont choisis avec pertinence (nous avions pleine confiance, pour cela, en Philippe Maxence). Mais, malgré tout, le format réduit de cet opus ne nous paraît justifier tout à fait son prix, élevé par rapport à des livres de facture identique. Passons. « Enfin, la troisième partie rassemble deux poèmes ayant eux aussi rapport avec l’islam, dont le célèbre poème Lépante qui accompagna un certain nombre de soldats dans les combats des tranchées de la Première Guerre mondiale » (p. 10). En guise de résumé, nous pouvons affirmer que la partie la plus travaillée et la plus originale est, évidemment, la première. Le lecteur sera facilement captivé.

            Pour introduire son sujet, Philippe Maxence présente le personnage de Chesterton à l’occasion d’une biographie aussi claire que succincte, c’est le chapitre « À l’école d’un génie enfantin ». Qu’en ressort-il ? Le caractère général de l’auteur britannique : sa remarquable constitution physique haute d’1,90 m (p. 20), ses études en beaux-arts puis en lettres (p. 18), ses premiers recueils de poèmes publiés à compte d’auteur, son premier emploi chez un éditeur et ses critiques de livres (p. 18), « une œuvre abondante, constituée de milliers d’articles et d’une centaine d’ouvrages » (p. 14), ses velléités pacifiques[1], sa conversion au catholicisme en 1922 (p. 24-25) et celle de son frère Cecil (p. 42), ses deux grands essais intitulés Heretics et Orthodoxy en 1905 et 1908 (p. 21-24).

            Force est d’avouer qu’il n’était pas évident de se poser si tôt, au début du XXe siècle, ces problèmes qui occupent aujourd’hui le devant de la scène. « Chesterton est l’un des écrivains, et plus généralement des observateurs de son temps, qui s’est posé directement la question de la confrontation de l’islam avec la société occidentale moderne » (p. 14). Cela est facile à dire. Mais comment a-t-il posé ce problème ? « [C]’est essentiellement en écrivain, traversé par une vision poétique de l’existence, en chroniqueur engagé et en romancier qu’il a alerté ses contemporains des dangers de l’islam, susceptible alors de se réveiller car la nature profonde de cette religion est d’être conquérante » (p. 15). Mais ne serait-ce pas la seule méthode efficace et pérenne de traiter les choses ? Remarquons que, par cette phrase et plusieurs autres, nous savons très bien d’où parle Philippe Maxence : l’islam est pour lui un « danger ». Et ce danger, ce n’est pas un certain islam, « intégriste » ou « fanatique », mais les « racines mêmes de l’islam qui, à la faveur de certaines circonstances historiques, parviennent à déployer désormais tous leurs effets. Et ceux-ci sont généralement dangereux » (p. 16). Philippe Maxence fait partie de ceux qui pensent que « ce regard sur l’islam » peut être « qualifié de ‘‘prophétique’’ » (p. 16-17).

            Mais comment un Anglais du début du XXe siècle a-t-il pu être confronté à l’islam ? D’abord, pour Chesterton, grâce à un voyage en Palestine, réalisé en 1919. Il publia plusieurs articles à ce sujet : « Il était allé en pèlerinage sur les lieux mêmes qui virent marcher le Christ, témoin de cette incarnation qui est au cœur de la démarche spirituelle chestertonienne. Il en avait profité pour essayer de comprendre la montée du sionisme et examiner la réalité musulmane, deux phénomènes qui allaient être au centre de la politique internationale de l’après-guerre dans cette région du monde » (p. 25-26). L’un des premiers desseins de Chesterton était alors de « mettre en garde contre la mode de l’orientalisme […] qui ouvrait les portes, selon lui, à celle de l’islamisme, beaucoup plus pervers et dangereux » (p. 26).

            Le chef-d’œuvre de Chesterton à propos de l’islam, c’est un roman (le cinquième de sa belle carrière) fort étrange intitulé L’Auberge volante. Il n’hésite pas à mettre en scène, dès 1914, une Angleterre libérale prohibitionniste sur bien des points (exemple : l’alcool) collaborant pour cela avec les forces de l’islam. D’où ce mot d’ « auberge », lieu de boisson, donc de résistance à ces politiques décharnées. Si cette intrigue pouvait sembler simplement loufoque au lecteur subissant la Grande Guerre, sa perception doit être bien différente aujourd’hui : « relu des décennies plus tard, L’Auberge volante va trouver un nouvel intérêt, par ses aspects prémonitoires que ne peuvent s’empêcher de voir ceux qui vivent désormais dans une Europe traversée par un important flux migratoire, constitué en grande partie de populations de confession musulmane et devant lesquelles les responsables politiques semblent paralysés voire complices » (p. 27-28). En bref, « L’Auberge volante annonce une tentative de soumission de l’Angleterre à l’islam » (p. 29). À l’époque, de la science-fiction. Aujourd’hui, une possibilité. Demain, une réalité ?

La trame de ce roman, largement décrite dans le deuxième chapitre de Philippe Maxence, permet à Chesterton de montrer en quoi ce qui n’est pas catholique (pour faire simple, même s’il n’est pas encore « romain » à ce moment) sait s’allier, ne serait-ce qu’objectivement, contre le christianisme et la vraie vie (ce qui ne fait qu’un) : « la résistance qui s’organise s’incarne alors dans la défense des auberges et de la vie sociale suscitée par l’ambiance des pubs contre l’alliance du puritanisme moderne et de l’islam » (p. 34). Toutes les erreurs modernes et révolutionnaires, quels que soient leurs noms, vont toujours dans un sel et même sens, qui est celui de la lutte contre le christianisme : « outre sa dénonciation de l’islam, le roman de Chesterton regorge également de saillies contre le monde capitaliste, les politiciens corrompus, les journalistes vendus, les financiers véreux et les hygiénistes, précurseurs d’une certaine écologie politique qui entend réaliser la santé des peuples au détriment de leur liberté, si besoin est » (p. 35). Rien de nouveau sous le soleil. C’est une belle mise en garde contre les périls qui nous guettent. « Sa cible dans L’Auberge volante n’est pas seulement la religion de Mahomet, mais, plus globalement, la démission des élites, la trahison et l’abandon des traditions nationales, la folie du libéralisme, capable de vendre un pays à l’une des plus graves menaces qui soit, l’islam. Pour Chesterton, la menace capitaliste et la menace islamique vont de pair ; ils ont des intérêts communs » (p. 45). En effet, « la menace orientale ne peut être dissociée à ses yeux de la démission occidentale ». S’il y a dans ces dires une part de projection de Philippe Maxence, ils sont en majorité largement issus des écrits de Chesterton. En témoigne la deuxième partie de l’ouvrage que nous critiquons, recueil de citations (formant comme autant d’illustrations) sur lesquelles nous ne nous attarderons pas.

Théologiquement, Chesterton considère l’islam comme une hérésie issue du christianisme, comme un unitarisme comparable au socinianisme (p. 53). Louis de Bonald, lui, y voyait un déisme égal à celui de Rousseau, l’idée de Dieu, mais pas sa présence – réelle. De l’absence de la Trinité découle l’absence d’amour. Il n’y a plus que la loi de la soumission (p. 63). Pas d’amour, certes, mais pas de libre arbitre non plus. L’islam, effectivement, va jusqu’à ignorer – dans sa langue arabe – le terme personne (p. 71). C’est dire ! L’islam, outrageusement puritain sur certains points et immoral sur d’autres, engendre donc un scepticisme, un scepticisme dirigé contre l’humain (p.72-73). Pas de vin : pas d’humain.

Suivent des citations extrêmement bien choisis de Chesterton (bravo à la connaissance que Philippe Maxence a de l’œuvre de celui-ci) et son poème (entre autres extraits) Lépante.

Le lecteur ressortira de cet ouvrage avec une profonde admiration pour Chesterton, et une lancinante envie de lire L’Auberge volante…

[1] « le jeune homme déclara la guerre à la guerre [contre les Bœrs], non pas par velléité pacifiste, mais au nom d’un nationalisme qu’il ne voulait aucunement voir confondre avec l’impérialisme ni dégradé par ce dernier. Il retrouva également dans la soif d’indépendance et de liberté des républiques boers l’idéal qui l’animait lui-même ». P. 19.

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