Marie-Josèphe Bonnet, Adieu les rebelles !

Paris, Café Voltaire, Flammarion p.137, 12 €

Dans un essai court, précis et virulent, Marie-Josèphe Bonnet, militante féministe et lesbienne de longue date, dénonce la mort du mouvement homosexuel, par son ralliement au « mariage pour tous », et à ses conséquences sur la filiation (PMA, GPA). Elle déplore la mainmise d’un courant consumériste et bourgeois sur l’ancienne subversion qu’elle connaissait, qui a imposé l’indifférenciation sexuelle, avec l’aide des élites politiques et médiatiques.

Personne ne pourrait s’attendre à une telle critique au vitriol du mouvement homosexuel de la part d’une ancienne militante du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), et fondatrice des Gouines rouges. Marie-Josèphe Bonnet, historienne, figure des années 1970, n’oublie pas d’où elle vient, et revendique fièrement son passé. Elle rappelle sa détestation de « l’ordre patriarcal », des institutions religieuses et sociales, et ne s’associe aucunement à la Manif Pour Tous.

Pourtant, loin de se borner à critiquer la trahison du mouvement homosexuel de son idéal, et son appropriation du mariage, hier symbole honni, Marie-Josèphe Bonnet propose un rappel historique de ses revendications, et passe au crible la stratégie qui a conduit à la loi Taubira, ainsi qu’à la théorie du genre. Une critique avec un œil acéré, lucide, et connaisseur des personnes, des mentalités et des écueils du milieu.

Le triomphe du courant gay bourgeois

« Que s’est-il passé pour que le mouvement homosexuel ait perdu à ce point la mémoire des engagements de ses aînés ? », se demande Marie-Josèphe Bonnet. Pour elle, deux tendances internes au mouvement sont responsables d’un tel basculement vers la revendication d’entrer dans la norme familiale, et de la changer.

Tout d’abord, l’auteur pointe le lesbianisme radical, de Monique Wittig, précurseur de la théorie du genre de Judith Butler. Celle-ci considère les lesbiennes non comme des femmes, mais comme un « deuxième  sexe » à part entière, distinct du sexe « hétérosexuel ». Les lesbiennes doivent donc revendiquer, non des droits en tant que femmes, mais en tant qu’homosexuelles. Marie-Josèphe Bonnet dénonce ce passage d’une lutte pour l’égalité homme-femme à celle pour l’égalité homosexuel-hétérosexuel. Ce passage a été légitimé par un réseau spécifiquement gay, que l’auteur juge indifférent aux femmes, voire machiste et paradoxalement patriarcal.

Dans cette même veine, Marie-Josèphe Bonnet juge que ce sont les gays qui ont pris le contrôle du mouvement homosexuel, tant dans le milieu associatif, dont la direction est devenue exclusivement parisienne, que dans le rapport à l’Etat. Ce courant gay, bourgeois, en quête de notabilité, se fond à merveille dans le consumérisme ambiant. En témoigne le festival commercial qu’est devenu la Gay Pride : l’auteur emploie des mots très durs contre ce qui semble être les nouvelles « fêtes ithyphalliques de l’Antiquité romaine », avec ses idoles et son culte du plaisir. En filigrane de cette affirmation triomphante d’une certaine homosexualité masculine, compatible avec les codes médiatiques, Marie-Josèphe Bonnet perçoit le rejet de l’altérité sexuelle, « une nouvelle guerre des sexes, masquée sous l’indifférence de l’Autre ».

Du Pacs au « mariage pour tous »

En décrivant l’historique des revendications politiques homosexuelles en France, l’auteur minimise la loi dite de « dépénalisation de l’homosexualité », en 1982, qui ne concernait en réalité que le détournement de mineur de même sexe, fixé à 18 ans. Elle rappelle que le projet d’union homosexuelle concédée par l’Etat est né d’une résolution du Parlement européen, dès 1994, appelant les pays membres de l’Union à mettre en place une reconnaissance légale du couple homosexuel.
Sur le Pacs, bien qu’elle pourfende les opposants, elle affirme que les homosexuels n’étaient pas unanimement favorables au projet. Marie-Josèphe Bonnet rappelle que la Coordination lesbienne de France (CLF) n’a pas pris position de faveur du Pacs: pour ce groupe, la reconnaissance du couple de même sexe était secondaire par rapport au désir de vivre dans une société où les homosexuels jouissent du droit à l’indifférence. Cette ligne est celle de l’auteur, et ne va pas changer lors des débats sur la loi Taubira, 14 ans après.

Marie-Josèphe Bonnet est résolument opposée à la Manif Pour Tous, qu’elle perçoit comme une mobilisation réactionnaire, même si elle note qu’elle était un symptôme de la réaction de la « France silencieuse », et qu’elle rend hommage, en militante avertie, à la détermination et à l’énergie des manifestants. Son dépit tient en grande partie à l’absence, pendant le débat, d’opposants issus de son milieu, et à l’étouffement de la contestation du mariage gay à gauche et au sein des associations homosexuelles. Elle critique aussi bien l’opportunisme du Parti socialiste que celui de certaines figures de l’UMP, qui avaient choyé un temps le lobby GayLib, pour ensuite aller manifester.

Marie-Josèphe Bonnet juge enfin avec sévérité la rhétorique de l’égalité déployée par les partisans de la loi Taubira : « la question sexuelle est-elle un marqueur d’identité si essentiel qu’elle détermine l’accès à la loi commune ? »

L’avènement de l’indifférenciation sexuelle

Marie-Josèphe Bonnet est formelle, si la PMA pour les couples de femmes est légalisée, la GPA suivra. Or, elle n’est favorable ni à l’une ni à l’autre : ces mesures posent la question de l’emprise de la biotechnologie sur les vies et les corps, et menacent rien de moins que la mixité, et « la place des femmes dans la Cité ». En effet, écrit-elle, à force de repousser sans cesse les limites humaines, la loi va finir par isoler les individus les uns des autres, à briser le lien social et à distiller l’indifférenciation des sexes masculin et féminin. Elle affirme que l’enfant et la femme seront les principales victimes de ces désirs, et notamment de celui, archaïque, de la procréation sans l’autre sexe.

Concrètement, elle démontre que « la PMA n’est pas un droit, c’est une thérapie de la stérilité, remboursée en tant que telle par la Sécurité sociale ». Sur la GPA, elle dénonce la circulaire Taubira de reconnaissance des enfants nés de mères porteuses à l’étranger comme une étape de la politique du fait accompli.

« Ce n’est pas normal qu’un petit groupe politiquement bien organisée, sachant manier le terrorisme de l’homophobie, impose à tous ses désirs et ses objectifs », s’insurge Marie-Josèphe Bonnet. Si une telle parole, dérangeante, radicale et lucide, a pu manquer dans les débats de l’an dernier, il n’est pas trop tard pour l’entendre aujourd’hui, et s’enrichir d’un argumentaire solide contre les bouleversements familiaux.

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