L’auteur part d’un constat ravageur : en Europe, la nation n’a plus que la politique sans les politiques, tandis que l’Europe fait les politiques sans la politique. Par conséquent, on peut à juste titre parler d’un « déficit démocratique de la construction européenne ».

L’existence millénaire de la plupart des nations européennes les a empêchées de se fondre naturellement dans la construction européenne : celles-ci restent à la fois séparées et rapprochées par leur langue, leur culture et leur histoire, leur géopolitique, etc.

L’identité européenne est une énigme, à l’image du mythe grec de la déesse Europe. Dans les faits, la construction européenne a été initiée sous les pressions américaines à l’issue de la seconde guerre mondiale afin de préserver la paix entre des Etats ravagés par les conflits. Cela a donné lieu à un ensemble politique d’une originalité inouïe : alors que les Etats membres se sont accordés à partager de façon croissante leur souveraineté, aucune réponse n’a été apportée aux questions existentielles touchant l’identité et le projet de l’Union européenne. Quelles limites, quels participants ?

Pour y répondre, l’auteur examine dans un premier temps la question de l’identité européenne selon divers prismes successifs : le facteur géographique et géopolitique, le facteur des valeurs, le facteur historique et culturel, le facteur politique… Si géographiquement, il est difficile de délimiter l’espace européen, il n’en demeure pas moins que la majorité des Etats fondateurs de l’Union européenne reflètent une identité commune fondée sur les valeurs chrétiennes et de démocratie (suppression de l’esclavage, séparation des pouvoirs, primauté du droit, progrès des techniques, dignité de l’homme, amour, justice, égalité…). Pourtant, la construction européenne ne s’est jamais réclamée ouvertement de l’héritage chrétien : peut-être est-ce l’une des raisons de son mal être identitaire…

L’auteur évoque également la question du positionnement de l’Union européenne par rapport au monde – ce qui pose à nouveau le problème de ses frontières. Il s’avère que le projet d’unification politique à l’origine de la construction européenne va plus loin que la pacification du continent, puisqu’il s’agit pour certains de créer des « Etats-Unis d’Europe » sur le modèle de la fédération. La construction politique de l’Europe aspire en effet à faire émerger sur la scène mondiale une forme de souveraineté européenne qui se superposerait aux nations, en contradiction avec le principe de souveraineté des Etats. Ce but n’est toutefois pas explicitement avoué, et la capacité de l’Union à assimiler de nouveaux Etats membres n’est plus un tabou.

Il est essentiel de ne pas négliger l’influence de la puissance américaine – et notamment celle de l’OTAN – sur le projet européen et ses frontières. En effet, en faisant intégrer au sein de l’OTAN des Etats européens non membres de l’Union, les Etats-Unis préemptent d’une certaine façon le débat sur les frontières de l’Europe. Par ailleurs, l’OTAN reste l’organisation fondamentale chargée de la défense de l’Europe. Toutefois, il semble qu’il y ait une récente convergence franco-allemande sur la question de l’élargissement des frontières : chacun de ces Etats souhaitant conserver un certain leadership craignent de voir leurs voix se diluer.

Puis, l’auteur s’intéresse aux explications théoriques de l’intégration européenne en prenant en compte l’anthropologie des différentes nations européennes. La thèse fonctionnaliste considère que les Etats membres souhaitent intégrer l’Union en vue de coopérer entre eux dans les domaines de l’économie et de la technique afin de parvenir à circonscrire le champ des conflits politiques. Vue de cette façon, la construction européenne apparait comme un engrenage menant vers toujours plus d’intégration et d’interdépendance – c’est l’approche majoritaire actuellement. Le paradigme de l’Etat classique apparait dépassé par une forme d’organisation postmoderne visant à l’avènement d’un ordre mondial cosmopolite.

Cette thèse s’oppose à l’approche intergouvernementaliste, conservatrice : l’existence des Etats est au premier plan, ceux-ci ne coopèrent et ne s’intègrent que si cela sert leurs intérêts. L’Europe n’est alors vue que comme le produit de marchandages intergouvernementaux. C’est le modèle de l’Europe des nations, des patries. L’auteur estime que la prise en compte des préférences nationales est essentielle pour comprendre le projet européen, mais il faut en même temps admettre que ce projet rétroagit sur les nations et que les nations se socialisent et se transforment à travers la construction européenne.

Une approche sociologique permet de mieux saisir cette diversité des nations en replaçant les identités nationales dans la très longue durée. C’est ce qu’a fait Emmanuel Todd en  déduisant de l’extrême diversité anthropologique de l’Europe que les nations développent des visions très divergentes, notamment dans le rapport à l’autre. Cette diversité des nations emporte des conséquences sur la manière dont les nations se positionnent les unes par rapport aux autres.

A titre d’exemple, on peut citer l’opposition entre pays riches (au nord et à l’ouest) et pauvres (au sud et à l’est). Les pays du nord sont marqués par l’empreinte germanique (concurrence, inégalité autoritaire ou libérale), tandis qu’en Europe latine, les Etats sont empreints d’une forte recherche d’égalité. L’auteur insiste alors sur l’importance de privilégier la relation franco-allemande, « un des arbres de vie de l’Europe » (Jacques Delors). Il s’agit d’une relation vitale pour l’unité pôle latin et du pôle nordique.

En conclusion, l’auteur estime que la solution aux problèmes actuels (crise économique, menace existentielle pour la cohésion du noyau même de l’Europe intégrée…) ne peut pas passer par un grand saut intégrateur. Les nations ne sont pas désireuses de bouleverser l’équilibre des compétences entre niveau européen et national. Par conséquent, l’Europe doit assumer sa diversité nationale et se perfectionner dans son être plutôt que changer sa nature.

4 clés sont alors proposées pour réincarner l’Europe par les nations : la politisation du débat européen pour que les citoyens saisissent mieux les enjeux de la prise de décision au niveau européen ; la subsidiarité pour lutter contre l’uniformisation et préserver les cadres de vie nationaux et territoriaux ; la solidarité comme contrepartie du libéralisme économique ; la différenciation en raison des différentes aspirations et capacités à s’intégrer des Etats membres.

France Renaissance

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