Débat sur l’euthanasie : un grave conflit de valeurs
Lu dans Le Nouveau conservateur cet article sur l’euthanasie de Jean Léonetti, médecin, maire LR d’Antibes et auteur de la loi de 2005 sur la fin de vie:
La démarche éthique est une interrogation morale à la recherche d’un juste équilibre permettant à l’issue d’un cheminement de raison de prendre des décisions. L’éthique est le guide de la pratique.
Bien sûr, l’éthique se réfère aux grands principes de bienveillance de non-malfaisance, de justice, d’équité et de respect de la dignité de la personne humaine. Mais, souvent, le débat éthique est au coeur d’un conflit de valeurs : en ce qui concerne la fin de vie, il s’agit d’une « éthique de la vulnérabilité » qui protège la fragilité de la personne, parfois malgré elle, et « l’éthique d’autonomie » qui respecte le choix de chacun. Le collectif du « nous » de la fraternité face au « je » de l’individu et de sa liberté.
Par ailleurs, le débat sur la fin de vie s’inscrit pour les pays développés dans le contexte d’une mort devenue taboue et médicalisée qui rompt avec une conception d’une mort acceptée, familiale et familière, chacun redoutant plus la souffrance et la déchéance qui précède la mort que la mort elle-même.
Les lois actuelles se réfèrent à trois principes exigeants : le non-abandon, la non-souffrance, le non « acharnement thérapeutique » plus justement nommé « obstination déraisonnable ».
Le « non-abandon » parce que la dignité humaine, dont le respect est un principe absolu, ne décline pas avec nos forces. Il n’y a pas de vie qui ne mérite pas d’être vécue et qui ne doive pas bénéficier du regard bienveillant de l’autre.
Le refus de la souffrance est un objectif essentiel en fin de vie et la loi rappelle que, dans ces circonstances, on doit mettre tous les moyens nécessaires pour lutter contre elle, « même si » cela doit raccourcir la vie. Les antalgiques et sédatifs doivent donc être utilisés pour soulager la souffrance à la dose rendue nécessaire par cet objectif. On peut aller jusqu’à la sédation profonde et continue j u s q u ’ a u décès pour faire en sorte que le « mourant » puisse « dormir » pour ne pas souffrir avant de mourir.
Enfin, les traitements (et non les soins) peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre but que le maintien artificiel de la vie.
Ne pas donner la mort
La loi actuelle n’autorise pas à donner la mort pour éviter la triple rupture médicale, juridique et anthropologique. Rupture médicale : car donner la mort n’est pas un soin auquel cette pratique met fin.
Rupture législative : la légalisation de l’homicide, interdit par le Code pénal, en inventant une excuse légale par compassion, créerait une fracture au principe fondamental du droit à la vie.
Rupture anthropologique, enfin, faisant tomber l’interdit de tuer qui, plus encore qu’un interdit religieux, est une exigence humaine qui se lit dans le visage de l’autre, comme l’explique Levinas.
Ceux qui veulent, selon leur expression, aller « plus loin », veulent en fait aller ailleurs avec d’autres équilibres où la liberté de l’instant l’emporte sur la fraternité immuable. Dans une démocratie, que l’on croie au Ciel ou non, on ne donne pas la mort aux plus vulnérables d’entre nous, même à leur demande.
Les lois actuelles concernent ceux qui « vont mourir » et non ceux qui « veulent mourir ». Le droit à la mort est autorisé dans certains pays selon deux modalités : le « suicide assisté » et « l’euthanasie ».
Le suicide assisté est un oxymore. On n’aide pas une personne à se suicider, car le suicide par définition est un acte individuel qui traduit d’ailleurs plus une souffrance qu’une liberté. Le suicide est un « droit-liberté » qui appartient à l’individu et non un « droit-créance » que l’on peut réclamer à la société.
L’euthanasie, droit ouvert à supprimer la personne plutôt que sa souffrance, est une rupture de la fraternité du soin, que nulle législation n’a su durablement encadrer.
Enfin, une société évoluée, face à la souffrance de la mort, doit secréter une espérance et une fraternité afin que jamais quiconque ne se sente de « trop » parmi les hommes. Dans un pays dans lequel les soins palliatifs sont, d’un avis unanime, insuffisamment développés et, par ailleurs, très efficaces pour éviter la demande de mort, on voit bien où est la priorité