Professeur des académies de Lille, rennes et Bordeaux, Jean-Hugues Barthélémy dresse pour l’Institut Diderot un tableau bien sombre de la situation que traverse l’école française. Déplorant que la perte d’autorité ne puisse être retrouvée au sein du milieu scolaire, Dominique Lecourt, à la tête de l’Institut Diderot souligne également l’intérêt d’une note qui souligne les écueils scolaires que la campagne présidentielle n’a pas mis en lumière (classes surchargées, renoncement à la transmission, …).
L’Ecole française : un paradoxe social entretenu par les médias
Les médias ont trop souvent tendance à entretenir la confusion autour de « la crise de l’école française », cachant à dessin les inégalités présentes dès le collège et le lycée et les laissant ressurgir dès l’intégration des élèves en échec dans les universités où ils viennent hausser le taux d’échec. Cette problématique doit être mise en parallèle avec l’orientation intra-scolaire opérée par les lycées, où les élèves sont orientés par la volonté parentale et par mesure de respect de « quotas » dans des filières inadaptées à leurs compétences.
Jean-Hugues Barthélémy souligne ainsi que « les chances d’ascension sociale des plus modestes par l’école n’ont cessé de baisser en même temps que les exigences intellectuelles de celle-ci ». En ayant rabaissé volontairement le niveau des élèves, en ayant accommodé les barèmes, l’école est devenue pour les professeurs un « centre d’animation » à gérer, qui entérine les inégalités.

 

Quel point de vue adopter pour parler de l’école ?

 

Les enseignants les plus représentatifs du suivi continuel des élèves dans l’école française sont les enseignants de lycées : depuis 2000, le niveau des élèves du collège jusqu’au Baccalauréat « le niveau ne cesse de baisser, et les comportements de se dégrader », souligne le rapporteur de la note. Paradoxalement, les résultats du baccalauréat ont connu de fortes progressions et les parents d’élèves restent de plus en plus sourds aux réflexions adressées à leur progéniture.
Ce sont ces raisons précises qui entraînent un certain désabusement parmi les enseignants : à l’heure actuelle, ce sont près de sept enseignants sur dix qui ont songé à changer de métier. Soulignant le manque d’analyse du système éducatif de l’intérieur, le rapporteur de la note indique qu’il serait juste de « proposer […] des mesures de bon sens […] ne relevant d’aucune idéologie politique préalable » sur certains points de révisions.

 

I. Langue maternelle, démocratisation, inégalités

 

A) L’absence de maîtrise du Français
La baisse horaire de l’apprentissage du Français entre 1976 et 2004 – du collègue au lycée- cumulée à l’apprentissage de la lecture à l’aide de la méthode « globale » a engendré une baisse de niveau de plus en plus dramatique concernant la maîtrise de la langue française ainsi que sa juste compréhension. Seules réponses formulées par les Ministères successifs et les rectorats ? La baisse des exigences et des barèmes.
La classe de Seconde ne constitue par exemple plus la classe d’évaluation qu’elle devrait incarner, mais un prolongement du collège où les élèves sont amenés par la volonté parentale. Malgré ses désappointements, un élève de Seconde sur deux, placé en une classe filière qui ne lui convient pas, disposera de son baccalauréat, du fait de la modification des barèmes et de la réduction des taux d’échecs espérée par les gouvernements.
C’est dans cette perspective désastreuse que les étudiants français refusent de manière croissante de s’engager dans la voie de l’enseignement, tant la tâche délicate qui leur est proposé est jugée absurde et la rétribution pour celle-ci non adaptée. De même, les « incohérences de la politique éducative » auraient tendance à démotiver les élèves d’université s’étant engagés sur la voie de ce métier.

 
B) Démocratiser l’école

 
L’objectif de la démocratisation de l’école fixé dans les années 80, visant à un taux de réussite du Baccalauréat de 80%, a été rendu impossible par l’action des gouvernements successifs. Car pour « maintenir la qualité des apprentissages », il eût fallu s’adonner de façon urgente à la baisse des effectifs en classe, à la pédagogie individualisée et à l’étude en groupes restreints.
Par ailleurs, le petit nombre horaire que doit assurer un professeur ne correspond guère aux effectifs de plus en plus lourds devant lesquels ils doivent enseigner : la France demande à ses enseignants d’exercer près de 17H par semaine seulement alors que les classes sont pleines ; les agrégés, mieux rétribués, doivent exercer entre 15H et 14H par semaine. Par ailleurs, les professeurs sont submergés par des tâches administratives absconses et la recherche de financements.

 
C) Inégalités et formations

 
La France plus « gravement que d’autres pays » a échoué à « combattre les inégalités sur le terrain ». L’absence d’accompagnement des élèves, le manque d’articulation entre les formations et les métiers, …, sont tant de facteurs auxquels les élèves sont confrontés par l’intermédiaire de l’Ecole, qui les mènera directement aux portes du chômage.
Car parmi les problèmes sous-jacents que rencontre l’Ecole, le manque d’articulation des formations aux métiers est particulièrement sensible : combattre les inégalités, souligne en ce sens le rapporteur de la note, ne consiste pas seulement à permettre à tous les élèves de faire des études longues mais bien à « permettre à chaque élève de se réaliser vraiment dans la voie qui correspond à ses goûts ». En réduisant le nombre « d’erreurs d’orientation » de la Seconde, en favorisant la découverte des secteurs professionnels dès la fin du collège, Jean-Hugues Barthélémy voit la résolution d’un certain nombre d’erreurs de vocation dans l’orientation que prennent les élèves. « Les exemples de gens ayant fait des études longues, puis exercé un métier rentable et « branché » , pour ensuite devenir boulanger ou agriculteur par vocation se multiplient aujourd’hui. Ceci indique clairement que rien n’est fait ou presque, dans le cadre scolaire, pour devenir ce que l’on est. On sait du reste que nombre de métiers de l’artisanat souffrent d’un manque d’apprentis », souligne à bon escient le rapporteur.

 
II. La formation et le cadre scolaire

 

A) Du recrutement et de la formation des enseignants
Pour le rapporteur de la note, les jeunes enseignants nouvellement titularisés sont le plus souvent inaptes à gérer des effectifs aussi importants que ceux proposés dans les classes à l’heure actuelle. Malgré cela, « les taux de redoublement des enseignants stagiaires sont étonnement faibles », les classes « surchargées » et les nouveaux enseignants incapables de faire face à la situation. Jean-Hugues Barthélémy préconise ainsi d’introduire au sein du concours une épreuve susceptible d’évaluer le niveau de gestion du collectif de la part des enseignants ainsi que sa façon de faire régner l’autorité. D’autre part, il préconise de ne pas opérer de « déni » sur les cas difficiles dont les professeurs alarment l’Education Nationale ; les difficultés que rencontrent les professeurs stagiaires ne sauraient en effet être omises pour des raisons de conformité, puisque certaines situations de déni mettent en péril leur vie (ndlr. voir le cas du suicide de l’enseignant stagiaire en 2016 au collège de Toulouse).
B) Programmes, outils et méthodes
Si les programmes scolaires et les outils existent dans l’Ecole française, leur articulation les uns aux autres reste délicate. Pour Barthélémy, il est nécessaire que les élèves bénéficient de deux outils et méthodes essentiels : la transmission d’une culture technologique et celle d’une culture écologique. La première doit être servie par un usage du traitement de texte et du clavier, d’un contexte « abstractogène » favorable. Sur le deuxième volet, le rapporteur souligne qu’il est essentiel que les élèves, « conscients que leurs aînés leur ont préparé un avenir particulièrement difficile », se forment sur la question écologique puisqu’ils sont à cet âge « incapables de se responsabiliser » du fait de leur jeunesse. Jean-Hugues Barthélémy ajoute qu’une telle conjonction ne pourrait être de « nature à éviter que lorsqu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans, nos jeunes viennent grossir l’électorat du Front National – la baisse des exigences intellectuelles de l’Ecole ne pouvant que favoriser encore ce phénomène ».
Pour le rapporteur, l’école doit jouer un rôle « d’éveil et de responsabilité écologique et civique » ; en ce sens, les nouvelles technologies seraient utiles pour « réinventer les modes de vie ». Une sorte d’alliance serait dès lors intéressante, remplaçant le règne de la technocratie en celui du règne de la technologie.
C) L’affect comme condition d’enseignement
Jean-Hugues Barthélémy indique qu’il n’est pas antagoniste d’aspirer à la suppression de la notation tout en maintenant un haut taux d’exigence. S’il suggère de supprimer les notes pour les petites classes (jusqu’à la 6e / 5e ), il souligne cependant qu’opérer ce système dans le cadre du lycée serait infantilisant. Selon lui, il est nécessaire de maintenir un cadre affectif pour l’apprentissage qui permette aux élèves de pouvoir travailler en groupe plutôt « que dans le traditionnel cadre de compétition entre individus ». Il souligne cependant que cette pédagogie de solidarité entre les élèves va de pair avec le maintien de l’autorité du maître. Il fait ainsi de ce travail de groupe une exigence dès l’Ecole primaire ; il aspire également à ce qu’il soit complété par des groupes de tutorats entre les classes de Collège, permettant aux plus âgés d’apprendre leurs compétences aux plus jeunes.
Conclusion
A l’issue de cette analyse, Jean-Hugues Barthélémy souligne l’importance de mener des réformes sur trois groupes de priorité, répartis hiérarchiquement, rassemblant près de douze objectifs. Le premier groupe vise les professeurs et les élèves et aspire au rétablissement du nombre d’heures d’apprentissage du Français . Le second vise à redéfinir l’orientation des élèves, tel qu’il a été plus haut souligné. Le troisième vise quant à lui à redéfinir les méthodes et les outils de la pédagogie employée, en mettant notamment en œuvre un apprentissage à la fois technologique et écologique.
Nb. Cette note fait la synthèse de Crise de l’Ecole française, analyse interne et préconisations, Jean-Hugues Barthélémy, Institut Diderot. Mai 2017.

aloysia biessy